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promettaient d’agir de concert si leurs intérêts dans ces deux pays étaient menacés, et, en cas de guerre, de se prêter un mutuel appui, mais seulement dans le cas où une tierce puissance, autre que la Chine, interviendrait dans le conflit. Au point de vue anglais, la conclusion de ce traité et les termes des articles pouvaient passer pour un chef-d’œuvre diplomatique. Comprenant qu’elle ne pouvait exercer seule l’hégémonie, qu’elle avait longtemps souhaitée, sur l’Empire du Milieu, et n’ayant réussi, ni à réorganiser la Chine comme l’avait demandé lord Charles Beresford, pour l’opposer aux progrès de la puissance russe, ni à en provoquer un partage où elle se serait réservé la vallée du Yang-Tse, la Grande-Bretagne prenait ses précautions pour empêcher les Russes d’y devenir les maîtres ; elle créait un système de contrepoids qui lui permettrait de maintenir l’équilibre et, elle l’espérait, du moins, d’entretenir, tout en conservant la paix, une rivalité armée qui paralyserait les deux adversaires et lui assurerait à elle-même le commerce et l’influence prépondérante dans l’Empire du Milieu. C’était le couronnement de la politique que le gouvernement britannique avait inaugurée en 1895, quand il avait refusé de se joindre aux trois puissances pour assurer l’intégrité de la Chine. L’Angleterre d’ailleurs ne courait aucun risque de guerre, puisque l’article 3, qui l’obligeait à intervenir, n’était exécutoire qu’au cas où, le Japon étant engagé dans un conflit avec une puissance, la Russie par exemple, une autre puissance se déclarerait contre lui : or la seule existence de l’article 3 devait évidemment empêcher ce cas de se produire. Ainsi, sans péril, l’Angleterre pourrait faire sonner haut son concours, se vanter d’être l’obstacle à une tierce intervention, à une extension de la guerre, et, les hostilités terminées, réclamer voix au chapitre lors du règlement final. Quant aux Japonais, signer un traité d’alliance avec une grande puissance européenne était pour eux un incontestable succès moral qui, ils l’espéraient, arrêterait les Russes dans leurs envahissemens en Mandchourie ; leur confiance en leur propre force en fut augmentée et l’audace du parti de la guerre s’en accrut. Cette alliance, qui n’était au fond qu’un trompe-l’œil, puisque toutes les précautions étaient prises pour que le casus fœderis ne se réalisât pas, servit de thème aux journaux nippons pour réclamer la guerre, surexcita l’opinion publique, assura le triomphe du parti belliqueux et par suite l’explosion du conflit.