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Pékin délivré, l’épisode dramatique est terminé ; et déjà l’opinion publique, en Europe, se passionne pour d’autres spectacles et cherche d’autres émotions. Tant qu’il s’agissait de sauver d’une mort cruelle leurs nationaux en danger, les gouvernemens marchaient à peu près d’accord ; les soldats se battaient côte à côte, rivalisaient de bravoure et trouvaient souvent, après la camaraderie du combat, la fraternité de la tombe ; mais, le péril passé, le désaccord des intérêts reparut et chacun, dans cette Babel de nations alliées, se mit à chercher son avantage particulier : le plus difficile cependant restait à faire !

Le 15 août au matin, douze heures après rentrée des premières troupes dans Pékin, l’Empereur et l’Impératrice mère s’étaient enfuis par la porte de Si-Pien-Men, abandonnant aux étrangers leurs palais mystérieux et depuis tant de siècles inviolés ; ils s’enfuyaient vers l’Est, en piètre équipage, suivis à distance par quelques dignitaires de la Cour, les eunuques, les femmes, les serviteurs, toute la suite d’un Empereur de Chine, effarée de se voir sur les grands chemins. Comme Louis XIV pendant la Fronde, le Fils du Ciel connut les logis improvisés et les lits de paille. On pensa d’abord que les voyageurs impériaux s’arrêteraient non loin de Pékin, au monastère bouddhiste de Ou Taï, mais l’Impératrice affolée, redoutant la vengeance des Européens, s’enfuit d’abord jusqu’à Ta Yuen-Fou, puis jusqu’à Si-Ngan-Fou, la grande ville de l’Est, aux confins des Ordos et de la Mongolie, aux frontières extrêmes de la Chine chinoise. Maîtres de Pékin, les alliés se trouvaient en présence d’une Chine sans tête et sans gouvernement. Les provinces du Nord étaient livrées à l’anarchie des Boxeurs, tandis que dans toutes les provinces du Centre et du Sud, les vice-rois avaient réussi à garantir une sécurité presque complète. La situation était inverse de ce qu’elle avait été au temps des Taï-Ping, où toute la Chine du Sud était en révolte contre la dynastie restée maîtresse de Pékin. Si les gouvernemens coalisés ne voulaient. pas être entraînés à une poursuite indéfinie et probablement vaine, à travers les steppes de l’Est, pour rattraper l’Empereur et l’Impératrice fugitifs, il fallait trouver un gouvernement légal, reconnu par les vice-rois du Sud, avec qui l’on pût traiter et au nom duquel on pût rétablir l’ordre.

Ce pouvoir ne pouvait être que celui de l’Impératrice et de ceux de ses conseillers qui n’avaient pas ouvertement pactisé