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prince Tuan, désespérant de trouver auprès des puissances étrangères un appui sûr et désintéressé, croyant au contraire que les Boxeurs seraient peut-être de force à mettre à la raison les « Barbares, » l’Impératrice se laissa emporter par le courant révolutionnaire tout en cherchant à l’endiguer ; selon la formule fameuse et toujours vraie, elle suivit le mouvement pour continuer à le diriger. De là, dans sa conduite vis-à-vis des légations et des armées étrangères, ces hésitations et ces contradictions, de là ces alternatives d’attaques furieuses contre les légations et d’accalmies subites qui laissaient respirer les assiégés au moment même où ils désespéraient de leur salut ; elles correspondaient aux périodes où le gouvernement régulier était débordé par les révolutionnaires et à celles où, au contraire, il réussissait partiellement à contenir leurs excès. Ces alternatives d’encouragemens donnés aux Boxeurs et de tentatives pour négocier soit avec les ministres, soit directement avec les gouvernemens européens, explique seule qu’une poignée d’hommes ait pu résister si longtemps dans le quartier des légations et au Pe-Tang. Malgré leur héroïsme, il leur eût été impossible de tenir, si les troupes régulières et tous les canons dont elles disposaient eussent été sans cesse employés contre les Européens. La colonne Seymour passa à côté de bataillons de réguliers qui ne firent aucun acte hostile ; ce fut seulement après l’attaque et la prise des forts de Takou que l’Impératrice crut pouvoir alléguer l’état de guerre et que des soldats réguliers prirent part aux combats de Tien-Tsin et même, par intermittences, au siège des légations. Les forts de Takou sont pris le 17 juin : du 20 au 25, puis du 28 juin au 18 juillet, le feu contre les légations est violent ; il cesse presque complètement du 28 juillet au 2 août, puis du 4 au 14[1] ; c’est qu’à ce moment l’Impératrice a reçu le télégramme si opportun de M. Delcassé (9 juillet) qui laisse entendre que, si les ministres et les étrangers sont sains et saufs, c’est elle qui sera considérée comme représentant le gouvernement légal de la Chine et avec elle par conséquent que l’on traitera. C’est ce télégramme, on peut le dire, qui a sauvé la vie aux Européens enfermés dans Pékin.

  1. Cf. l’article de sir Robert Hart dans la Fortnightly Review du 1er décembre 1900. Il reconnaît que, si les légations n’avaient pas été protégées par intermittence et si toutes les forces disponibles avaient donné contre elles, toute résistance eût été vaine.