Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brutalité du choc, elle éveillait la Chine du profond sommeil où, dans la contemplation de sa gloire passée, elle endormait ses énergies et berçait ses vieux rêves. La leçon de la défaite fit enfin comprendre, aux hommes qui gouvernaient l’Empire, que la Chine ne pouvait toujours demeurer immuable au milieu d’un monde qui sans cesse se transforme et se renouvelle et que, si elle voulait conserver intacte son âme et ses mœurs, il lui faudrait, au moins, comme le Japon lui en avait donné l’exemple, adopter les outils et les armes de la civilisation scientifique et industrielle de l’Occident. La Chine allait donc s’ouvrir aux machines, aux chemins de fer, aux capitaux étrangers. Quel peuple serait son guide, son inspirateur et, au besoin, son tuteur durant la période critique de cette mue où l’Empire du Milieu prendrait l’aspect extérieur d’un État moderne ? Les Japonais avaient fait la guerre pour que ce rôle leur échût.

L’intervention des trois puissances, Russie, France, Allemagne, retourna complètement la situation. On sait comment le gouvernement du Mikado déféra au « conseil amical » que lui donnèrent collectivement les ministres des trois pays, de renoncer à occuper la Mandchourie et spécialement la péninsule du Liao-Toung avec Port-Arthur et Talien-Ouan que les armées nippones avaient conquis : le principe de l’intégrité de la Chine triomphait ; il recevait une consécration éclatante et devenait l’un des fondemens essentiels du droit public en Extrême-Orient. Ainsi, cette fois, c’était au profit des Russes que s’exerçait le recours au principe dont l’application, faite à la Turquie, en 1879, par le Congrès de Berlin, les avait dépossédés de leurs conquêtes dans les Balkans : de même qu’alors, à Constantinople, l’influence prépondérante n’appartint pas aux Russes vainqueurs mais aux Allemands gardiens de l’intégrité de l’Empire Ottoman, ainsi, après le traité de Simonosaki, la puissance prépondérante, à Pékin, ne fut pas le Japon mais la Russie.

Si nous croyons nécessaire de revenir sur ces faits connus, c’est qu’à la lumière des événemens actuels, des critiques sévères ont été adressées à la politique suivie par la Russie, la France et l’Allemagne pendant la crise de 1895 ; on a voulu y voir la source d’où tous les malheurs présens ne pouvaient manquer de sortir. Une logique aussi simple et aussi inéluctable ne préside pas à la vie des peuples, pas plus qu’elle ne conduit celle des individus : ce n’est point la politique de 1895, fondée sur le