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a rien de grave, ce n’est que délicatesse excessive, et fatigue ; mais le médecin mandé m’a ri au nez, voilà de quoi vous rassurer.

Je ne vous ai pas remercié de toutes les communications excellentes, de ces lettres copiées. J’ai reçu le Bonstetten.

Les lettres de Benjamin Constant ont ici beaucoup de succès. et la manière dont j’ai coupé et encadré le tout a réussi. Est-ce de même là-bas ? M. Gaullieur est-il content ? Vous avez dû, cher Olivier, recevoir les épreuves du G. Tell par la poste ou la diligence.

Le Marot n’a pu aller ; la Revue se soucie peu d’érudition pure ; mais la trouvaille est curieuse.

Je suis occupé de mon Eloge de Delavigne, on ne trouve plus de temps pour rien dans le flot du monde. Oh ! tout cela me mènera-t-il à quelques années d’une vie cachée et solitaire avant la mort ? Je me le figure par moment, mais je n’en prends guère le chemin direct.

Bien à vous de cœur, chers amis.


Châlenay, ce 22 septembre 1844.

« Chère Madame,

J’ai reçu avec un vrai bonheur votre bonne et affectueuse lettre : merci de ces doux et constans sentimens. Je ne vous ai pas dit assez quelle joie c’eût été pour moi de pouvoir aller cette année à Lausanne, ne fût-ce que huit jours. Mais cela m’a été complètement impossible, et d’une impossibilité positive et précise. Je ne puis vous expliquer cela par lettres, mais vous y croirez puisque je vous le dis. — Au lieu de cela, j’ai passé tous ces mois à Paris à travailler et sans guère voir personne ; et puis mes vacances s’écoulent, me voilà pour quelques jours à Châtenay chez Mme de Boigne, et avec le chancelier. Je cause du temps passé et de souvenirs plus anciens, chère Madame, que ceux de Rovéréaz et aussi moins rians : mais j’ai toujours aimé ces conversations du vieux temps et qui touchent à la société et à la politique. Cela dispense d’avoir vécu le tous les jours de cette vie-là, et, avec un peu de sagacité, on la comprend dans son esprit.

Je loge dans la maison même où est né Voltaire et à deux pas de la chambre où sa mère, venue là par hasard pour passer le dimanche chez son frère, fut prise de mal d’enfant et le mit au monde,