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voudrais être plus libre que je ne suis. Si je l’étais un jour et si cette Revue allait et durait, on pourrait y réaliser quelque rêve. Mais moi-même, je me sens si faible, si peu sûr de l’avenir, que je ne vous envoie ces « saccades » que pour ne pas vous supprimer mes pensées sur un sujet si cher.

Lèbre doit vous écrire là-dessus plus au long et avec moins d’ellipses. Mon post-scriptum arrivera peut-être avant sa lettre, tous deux se compléteront.

Je vous embrasse, chère Madame, chers amis, et tous les vôtres.


Le 19 décembre 1843.

Cher Olivier,

Ce n’est pas trop mal du tout et je ne bondis pas. Mais quels jolis vers : Petits coquins d’enfans : cela me montre que la poésie n’est pas morte devers Martheray et Rovéréaz, quoi qu’on en dise. L’article sur la démocratie en Suisse était très bon. J’ai cru y reconnaître l’esprit élevé et judicieux de M. Ruchet.

Je joins ici un petit testament qu’il était essentiel pour ma sécurité que je fisse : vous y êtes chargé, cher Olivier, de mes volontés dernières, et cela vous forcerait à un voyage à Paris, mais tout cela est en chimère, quoique possible pour nous tous dès demain. Je vous recommande bien le papier important sur lequel je fonde ma sécurité désormais.

Je vous ai écrit bien des rêveries sur cette Revue : je n’avais pas songé aux Suisses d’ici, pour abonnés possibles. Cela n’aurait pas très grave inconvénient, et ne serait d’ailleurs praticable à mon sens que de ce côté.

Croyez, chère Madame, à mon souvenir bien fidèle en ces jours de grand bonheur, et de Noël toujours saint, ne fût-ce que par la joie de l’enfance. Ma pensée vole vers vous. Soyez heureux avec la part inévitable de tristesse ; soyez heureux comme vous le méritez, puisque de penser à vous donne du bonheur, un éclair de bonheur aux plus assombris. Ceci est sans préjudice du matin de l’an et du bonjour solennel.

Paris, aujourd’hui 19 décembre 1843.

Ceci est ma dernière volonté.

Je donne et lègue à ma bonne mère, si je meurs avant elle, tout ce que je possède soit en petites rentes, soit en effets, tels