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Troyes par les coalisés, l’arrivée des cosaques à Melun, marchant sur Fontainebleau. Rasoumowsky, Humboldt, Castlereagh conclurent que Napoléon était à bas ; « que la guerro finirait bientôt, et par sa chute entière ; » qu’on ne pouvait traiter avec un homme qui, « au moment de la signature même, ne saurait. en remplir les conditions. » « Il ne faut point faire la paix avec lui, » disait Rasoumowsky ; il est à la veille d’être culbuté ! Humboldt opinait de même. Ils convinrent que, le soir, ils se borneraient à prendre ad referendum les observations de Caulaincourt.

A huit heures, on se retrouva. Caulaincourt lut un texte de protocole rédigé vraisemblablement par La Besnardière ; il y rappelait les « bases proposées par les puissances alliées à Francfort et fondées sur ce que les alliés ont appelé les limites naturelles de la France. » Sur quoi, les alliés d’interrompre, rectifier, atténuer ou crûment contester l’assertion. « Le comte Rasoumowsky, écrit Caulaincourt, prétendait ne pas savoir qu’on eût proposé ces bases à Francfort. Ses instructions n’en parlaient pas. M. de Stadion paraissait douter. Lord Aberdeen paraissait vouloir éluder la question. » Caulaincourt persista à la poser, et l’on leva la séance après avoir pris sa note ad referendum.

Alors les alliés se réunirent chez Stewart. Aberdeen se montrait fort ému de ce désaveu d’insinuations dont il avait été le témoin. « Si vous nous laissez encore quelque temps ici, écrivit Stadion, nous irons tous en deuil à l’enterrement du pauvre lord Aberdeen. Son innocence diplomatique le tuera à force d’horreur et de scandale de tout ce qu’il voit faire ici et de la part qu’il y doit prendre. Il se fond en gémissemens, et, quelque expression de malheur que nous voyions sur la figure de Caulaincourt, ce n’est rien en comparaison du profond anéantissement qui se peint dans les traits de son collègue anglais. Humboldt en jouit comme des cadavres entre Leipzig et Francfort. »

Rasoumowsky avait des ordres secrets. Il proposa d’ajourner les conférences. Stadion écrivit à Metternich le 8 février : « Veut-on encore la paix avec le souverain de la France, quel qu’il soit, ou en veut-on à la personne de Napoléon ? Croit-ou que Napoléon peut se soutenir sur le trône, ou doit-on regarder sa chute comme à peu près certaine ? Pense-t-on qu’une paix faite avec la France et signée par Napoléon serait également la paix avec le souverain qui lui succéderait ? »