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C’est une voix qui prêche. Quelle voix ? On ne le sait ! Une voix ; et une voix qui ne dit rien qu’elle ne fait d’abord, selon la formule de l’époque, « réduit à l’universel. »

Mais c’est aussi en cela qu’il est, dans l’histoire de notre langue, l’orateur par excellence, et ses Sermons les meilleurs modèles que l’on puisse donner de l’éloquence française. Moins poète que Bossuet ou, pour mieux dire, nullement poète, mais peut-être plus orateur. « La beauté de ses plans généraux, disait le sage d’Aguesseau, l’ordre et la distribution qui règnent dans chaque partie du discours, la clarté et, si l’on peut ainsi parler, la popularité de l’expression, simple sans bassesse et noble sans affectation, sont des modèles qu’il est plus aisé d’assigner à l’éloquence du barreau que le sublime et le pathétique de M. Bossuet, — je rappelle que d’Aguesseau ne connaissait par les Sermons de Bossuet, — et que la justesse, la cadence ou la mesure peut-être trop uniforme de M. Fléchier. » Il nous reste, après en avoir cherché les raisons dans le fond des discours de Bourdaloue, à les montrer maintenant dans la forme de son éloquence.


IV

Il y a des écrivains, tels que Bossuet et tels que Racine, dont on pourrait dire que la langue est une création perpétuelle ; et il y en a d’autres, comme La Bruyère et comme Massillon, qui se donnent infiniment de mal pour habiller leur pensée d’une expression qui en relève l’ordinaire banalité : les premiers sont les modèles qui ont égaré les seconds. Mais il y en a d’autres — comme Bourdaloue, précisément, — qui ne se proposent en écrivant que d’exprimer toute leur pensée dans la langue de tout le monde. La langue de Bourdaloue est la langue de son temps, une langue pleine et forte, un peu pauvre ou sobre d’images, de métaphores, de « figures, » une langue précise, et quand il le faut subtile, mais sans trace de préciosité, sans grand éclat ni faux brillans, et qui ne diffère pas beaucoup de la langue de Nicole ou d’Arnauld. Une phrase de Bourdaloue ne se « reconnaît » pas. « On ne veut plus aujourd’hui, — nous dit-il quelque part, dans un sermon sur la Parole de Dieu, — qu’une morale délicate, une morale étudiée, une morale qui fasse connaître le cœur de l’homme, et qui serve de miroir où chacun, non