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famille chrétienne et du gouvernement de la maison. On parle beaucoup aujourd’hui du « droit de l’enfant, » et, puisqu’il m’est à moi-même arrivé de dire que le « droit de l’enfant, » comme le « droit de la femme, » n’avait daté dans le monde que de l’apparition du christianisme, je suis bien aise d’en trouver une sorte de preuve dans le sermon de Bourdaloue sur Les Devoirs des pères.


Dans la conduite de vos familles, respectez les droits de Dieu, et jamais ne donnez atteinte à ceux de vos enfans. Laissez-leur la même liberté que vous avez souhaitée, et dont peut-être vous avez été si jaloux. Faites pour eux ce que vous avez voulu qu’on fît pour vous, et si vous avez sur cela reçu quelque injustice, ne vous en vengez pas sur des âmes innocentes qui n’y ont eu nulle part, et qui d’ailleurs doivent vous être si chères. Ayez égard à leur salut qui s’y trouve intéressé, et ne soyez pas assez cruels pour le sacrifier à vos vues humaines. Ne vous exposez pas vous-mêmes à être un jour l’objet de leur malédiction après avoir été la source de leur malheur. Si vous ne pouvez pas leur donner d’amples héritages, et s’ils n’ont pas de grands biens à posséder, ne leur ôtez pas au moins, si j’ose dire, la possession d’eux-mêmes. Dieu ne vous oblige point à les faire riches, mais il vous ordonne de les laisser libres. [Sur le Devoir des pères. Dimanches, I, 33.]


Ne sont-ce pas là de hardis conseils, que les morales antiques, la grecque ou la romaine, eussent déclarés, en vérité, subversifs de la famille ; et, en effet, qui ne peuvent être donnés que du haut de la chaire chrétienne ? Ici, comme en tant d’autres cas, le « droit » qu’on revendique n’a de fondement que le « devoir » dont on est tenu. La liberté que le père ou la mère doivent à leurs enfans, c’est celle dont les enfans ont besoin à titre d’ouvriers responsables de leur destinée. Mais ce qui n’est pas moins frappant dans ce passage, c’est le caractère pratique des conseils du prédicateur, c’est la connaissance qu’ils trahissent du secret des familles, et du cœur humain, et des besoins de son auditoire. « Laissez à vos enfans la même liberté que vous avez souhaitée et dont vous avez été peut-être si jaloux : » c’est-à-dire souvenez-vous, à l’âge où les vocations se décident, combien il vous a fallu soutenir de luttes pour échapper, par exemple à la profession paternelle qu’on voulait vous imposer ; et, si vous vous êtes cependant laissé faire, souvenez-vous, et songez à ce que peut-être vous en conservez de rancune dans le fond de vos cœurs : Æternumque manet sub pectore vulnus. Une vocation forcée, c’est une vie manquée ! S’il vous reste à vous-même