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— quelque inquiétude que nous inspirent les aveux de Bretonneau, n’en éprouverons-nous pas une bien plus grande encore à lui voir opposer telle édition « clandestine, » dont Bourdaloue lui-même a déclaré qu’elle contenait « plusieurs sermons où il n’y avait rien de lui, et les autres n’avaient guère de lui que le texte et parfois la division ? »

Une dernière considération achèvera de nous rassurer. « Si nous avions des doutes sur la sincérité de Bretonneau, écrivait le Père Lauras, en 1881, la vulgarité de son talent d’orateur nous tirerait d’inquiétude… » et, en effet, nous avons du Père Bretonneau sept volumes de Sermons, qu’il n’a point, il est vrai, publiés lui-même, en son vivant, mais qui n’en ont pas fait pour cela plus de bruit dans le monde, à l’époque de leur apparition, en 1744[1]. Mais ce qui est peut-être plus intéressant encore, s’il a négligé de publier ses propres Sermons, le Père Bretonneau s’est fait, comme de ceux de Bourdaloue, l’éditeur des Sermons de deux autres de ses confrères, le Père Giroust et le Père Cheminais, et des Panégyriques d’un quatrième, le Père de La Rue. Comment, et pourquoi le succès de ces publications n’a-t-il pas égalé celui des Sermons de Bourdaloue ? Il n’y en a qu’une explication, la plus naturelle du monde, et qui est que le public a jugé que les Sermons du Père Cheminais ou les Panégyriques du Père de La Rue ne valaient pas ceux de Bourdaloue. Qualités ou défauts, — ce n’est pas présentement le point, — le public de 1707, et, depuis 1707, quatre ou cinq générations d’historiens de la littérature ont donc reconnu dans les Sermons de Bourdaloue des caractères que toute l’habileté de l’infidèle Bretonneau n’a pu réussir à mettre dans les Sermons du Père Cheminais ou dans les Panégyriques du Père de La Rue. Qu’est-il besoin, après cela, d’en demander davantage ; et dira-t-on sérieusement avec M. Castets que le seul titre qu’on puisse aujourd’hui faire valoir en faveur du texte de l’édition « officielle, » c’est la prescription ?

Mais, le lecteur l’a vu : l’autorité du texte de l’édition Bretonneau se fonde, premièrement, sur ce fait qu’en l’absence des

  1. On doit dire cependant, et la remarque vaut la peine d’en être faite en passant, que trois au moins des Sermons du Père Bretonneau avaient paru, dans des éditions « clandestines » sous le nom de Massillon. Les Sermons authentiques de Massillon, publiés par son neveu, le Père Massillon, de l’Oratoire, n’ont paru pour la première fois qu’en 1745.