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regretter que l’Empereur vous ait, comme à moi, lié les mains plus qu’il ne l’avait promis[1]. » Navré de se voir « sans moyens de faire le bien, » tel qu’il le concevait, il se les attribua de son autorité propre, et, le jour même de son arrivée, il renouvela avec Metternich les insinuations faites naguère à Schouvalof. Comme Metternich lui rendait sur-le-champ, selon l’usage, sa visite officielle, ils se trouvèrent seuls un moment. « Dépouillant son caractère diplomatique[2], » Caulaincourt demanda à l’Autrichien s’il n’était pas étonné de le voir à Prague. Metternich répondit qu’il regardait sa nomination « comme des plus heureux acquis. » — « Assurément, reprit Caulaincourt, si vous parlez au point de vue des intentions. Je vous parle aujourd’hui en ancien ami et à l’homme qui connaît aussi bien les individus et les questions que moi. Nous causerons demain comme plénipotentiaires. Eh bien ! que pensez-vous de la paix ? — Elle dépend d’un seul homme. — Tout dépend, reprit Caulaincourt, du moment où l’Empereur aura à prononcer son dernier mot… Êtes-vous décidé à ne pas accepter une neutralité pour laquelle on vous offrira des avantages, et à nous faire la guerre, ou non ? » On signifiait l’empereur des Français ; Metternich s’étonna de la question : son maître, dit-il, agira en grande puissance. « Alors, reprit Caulaincourt, aurons-nous peut-être la paix. Je ne doute pas de votre détermination ; mais n’en laissez également pas de doute à Napoléon. Il croit que vous voulez la paix ou, à son défaut, une neutralité bien payée. » Caulaincourt avoua que sa seule instruction consistait à amuser le tapis. Il engagea Metternich à demander « tout ce qui est juste et surtout ce qui présente l’idée d’une véritable base de pacification ; vous l’obtiendrez plus facilement que peu, parce que Napoléon en dira : l’Autriche est décidée à la guerre plutôt qu’à une trêve. Si vous lui demande peu,… il ne fera aucun sacrifice. » Aurait-il ajouté, comme Metternich le raconta au plénipotentiaire russe, Anstett : « Dites-moi seulement si vous avez assez de troupes pour nous rendre une bonne fois raisonnable ? » — « Soyez tranquille, répondit, en tout cas, Metternich, vous serez servi à souhait[3]. » En prenant congé, Caulaincourt ajouta cette déclaration : « Vous ne voyez pas en moi le représentant des lubies de l’Empereur, mais de son intérêt

  1. Caulaincourt à Maret, 28 juillet 1813.
  2. Rapport de Metternich à François II, 28 juillet 1813, en français
  3. Rapport d’Anstett, 28 juillet 1813.