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préserver de la fougue de ses passions en l’empêchant de poursuivre ces guerres perpétuelles qui dépeuplaient la France, l’appauvrissaient, et pouvaient finir par d’épouvantables catastrophes[1]. » Caulaincourt, dans le tête-à-tête avec Schouvalof, avait repris, tout naturellement, ses conversations avec Nesselrode, sûr, dit-il, que ses confidences ne seraient rapportées qu’au seul Empereur. « Tâchons de nous arranger. L’empereur Napoléon a, je crois, consenti à la médiation de l’Autriche… Profitons du moment, il est bon, nous sommes dans un instant de faiblesse… Quand nous avons des succès, on ne peut plus nous faire entendre raison… N’oubliez pas ce que je vous dis, il nous viendra des renforts considérables… » Il le disait le 30 mai ; il ajouta, le 1er juin : « Si vous êtes sûrs que l’Autriche agisse avec vous, vous faites bien de ne pas songer à faire la paix avec nous ; mais si vous n’en êtes pas sûrs, vous n’avez pas de temps à perdre… » Il poussa si loin que Schouvalof, qui n’était point dans le secret, se demanda si ce n’étaient point des stratagèmes pour savoir où les alliés en étaient avec l’Autriche, et s’assurer de leur impuissance à prendre l’offensive « avant que l’armée autrichienne ne commence ses opérations. » En un mot, écrit-il, « on dirait, à l’entendre, qu’il désire un grand échec pour l’armée française, afin de conclure la paix au plus vite. » L’échec n’eût été que le moyen, et le pire ; mais la paix, au plus vite, était bien l’objet des insinuations de Caulaincourt, et l’on le verra, tout à l’heure, par sa conversation, à Prague, avec Metternich, qui est dans le même style.


III

L’armistice ne fut qu’un rideau. Derrière, pendant l’entr’acte se passent les scènes capitales de la tragédie. L’empereur François demeura à Gitschin, où l’entourait une petite cour, principalement des militaires qui, sous le manteau, préparaient les opérations communes. Le langage paraît étrangement changé, dans ces conférences, depuis 1805 et 1806 : il n’y est plus question que de l’offensive, de chasser l’ennemi hors de la patrie.

  1. « Son opinion (du tsar) n’a été démentie dans aucune circonstance… Le courage avec lequel il (Caulaincourt) a combattu, dans tous les temps, les idées exagérées de Bonaparte et toute l’atrocité de son système… » Nesselrode à Pozzo di Borgo, 22 juin 1814. Polovtsoff.