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de vie ni sa société. Ce fut un nouveau tort pour elle aux yeux du public, et peut-être ce sacrifice eût-il prévenu bien des malheurs. Mais n’est-il pas d’une âme élevée de ne pas abandonner ses amis dans l’infortune et d’aimer mieux au contraire se raidir contre elle, au risque de la partager avec ceux qu’on veut soutenir ? Il y a, ce me semble, quelque chose de grand et de noble dans cette conduite. On peut plaindre, on peut même blâmer l’aveuglement de la personne qui la tient, si les objets n’en sont pas dignes ; mais on ne peut la mésestimer.

Il est difficile d’imaginer que les propos que l’on tenait sur la Reine ne parvinrent jamais aux oreilles du Roi ; mais ce qui est certain, c’est qu’ils n’altérèrent point sa tendresse pour elle. Cependant, son crédit ne fut entier que bien longtemps après la mort du comte de Maurepas, et, je n’hésite pas à le dire, il eût été heureux pour la France qu’il le fût devenu plus tôt. Marie-Antoinette avait naturellement l’esprit juste et surtout le sens très droit. La protection accordée à un peuple qui cherchait à secouer le joug de son légitime souverain lui semblait injuste autant qu’impolitique, et, si elle en avait été crue, la France n’aurait pas eu cette guerre d’Amérique, qui a épuisé son sang et ses trésors, et dont elle n’a retiré d’autre fruit que les principes qui ont servi de base à son infernale révolution et ce déficit qui en a été à la fois le prétexte et le moyen. Mais l’éloignement que la raison de Marie-Antoinette lui avait inspiré pour cette guerre ne l’empêcha pas de prendre la part la plus sincère aux triomphes de la France et de s’affliger de ses revers. On remarqua même qu’elle avait ressenti les premiers signes non équivoques de maternité, en entendant le récit de la bataille d’Ouessant. Je ne rapporte cette circonstance, assez frivole et insignifiante en elle-même, que pour faire voir qu’alors, malgré les calomnies qui depuis longtemps pleuvaient sur elle, on la regardait comme bonne Française, et qu’il serait absurde de penser qu’elle cessa de l’être, à l’époque où Anne d’Autriche la devint. J’oserai, à cette occasion, emprunter la plus sublime de ses paroles, et en appeler à toutes les mères qui liront cet ouvrage.

Le comte de Maurepas mourut en 1781 et le crédit de la Reine augmenta. Cependant, elle n’influa pas entièrement sur le choix des ministres, tant que le comte de Vergennes vécut, le ministère de M. de Calonne en est une preuve. On s’est plu à le représenter comme la créature et le protégé de Marie-Antoinette.