Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être que la comtesse fût admise dans l’intimité de la Reine. Au lieu de cela, ce fut la Reine qui fut attirée dans la société de la comtesse. Marie-Antoinette eut tort de se laisser entraîner ainsi ; mais elle aimait, elle se voyait aimée ; cette société l’amusait ; elle était bien loin de prévoir qu’un sentiment pur lui fît jamais de tort, ou, pour mieux dire, elle fut dans une erreur bien excusable à son âge et avec l’amour qu’elle voyait que toute la nation française lui portait ; elle crut donner de la considération à ceux qui lui faisaient perdre le sienne.

La société de la comtesse Jules, qui voyait le goût de la Reine pour la vie privée, travailla à l’augmenter et contribua, comme je l’ai dit, plus que tout le reste, à fasciner les yeux de cette malheureuse princesse sur le tort que ce genre de vie lui faisait. Mais c’est le moindre des reproches que la postérité fera à cette société. Marie-Antoinette était généreuse, bienfaisante ; sa plus douce jouissance était le spectacle des heureux qu’elle avait faits. Le Roi prenait sa part de ce plaisir, tant parce que la bonté naturelle de son cœur l’y portait, que par la tendresse qui le faisait voler au-devant des moindres désirs de la Reine. La société en profita ; chacune des personnes qui la composaient échauffait l’intérêt de la comtesse Jules en sa faveur. Un mot d’elle suffisait à la Reine, qui, souvent, ne l’attendait pas, surtout quand il s’agissait de son amie, et, en peu d’années, les titres, les dignités, les grâces pécuniaires, celles de la Cour, furent accumulées sur un petit nombre d’individus. Pour ne parler que de la comtesse Jules et de son mari, ce dernier obtint le titre de duc, la place de premier écuyer de la Reine, celle de directeur général des postes du royaume, sans compter les pensions et les domaines de la couronne, et la duchesse sa femme eut la place de gouvernante des Enfans de France, la plus belle dont le Roi pût disposer en faveur d’une femme.

Tant de profusions étaient un tort et je n’entreprendrai pas de disculper à cet égard la mémoire de Marie-Antoinette. Mais peut-on aussi la condamner entièrement quand on songe qu’elle satisfaisait le premier besoin d’une âme sensible ; qu’elle avait été accoutumée, ainsi que tout le monde alors, à regarder les ressources de la France comme inépuisables ; et qu’il ne se trouva pas un seul ministre qui osât lui représenter qu’il fallait mettre des bornes à sa libéralité ?

Je ne la défendrai pas non plus, quoique par un motif bien