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d’Agenois son fils, alors âgé de dix-neuf ans et qui depuis, ayant hérité du titre de son père, s’est acquis une si hideuse célébrité dans la nuit du 6 octobre 1789. Enfin, après la promotion des maréchaux de France où le duc ne fut pas compris, Monsieur, frère de Louis XVI (aujourd’hui Louis XVIII), dont j’ose invoquer ici le témoignage et que la Reine estimait assez pour qu’il put lui parler librement, quoiqu’il ne fût pas alors au nombre de ses amis, lui représenta combien le public lui saurait mauvais gré de cette omission qu’on lui attribuait. Elle l’écouta, le remercia, convint qu’il avait raison et, de ce moment, il se forma entre eux une amitié que la mort seule a pu rompre, même n’a pas rompue. Ce n’est pas ainsi qu’une âme méchante et implacable suit ses vengeances et reçoit les avis qui contrarient sa passion dominante.

Quant au cardinal de Rohan, il fut nommé grand aumônier de France en 1777. Je pourrais en rester là, car, si l’aversion de la Reine contre lui eût été une haine implacable, le crédit des parens du cardinal ne l’eût sûrement pas emporté sur le sien. Mais j’irai plus loin et je parierai de la trop fameuse affaire du Collier, sur laquelle les ennemis de Marie-Antoinette ont fait tant de commentaires[1].

Le cardinal, né avec autant de crédulité que s’il n’eût pas eu d’esprit, avait alors beaucoup d’ambition, et, je dois le dire, des mœurs peu conformes à son état. Deux intrigans s’étaient emparés de lui : Cagliostro et Mme de la Motte. Ils se détestaient tous les deux, mais leur conduite était uniforme sur un point : celui de flatter la manie du cardinal pour les grandeurs. Cagliostro les lui prédisait, Mme de la Motte lui en montrait le chemin, et le prélat, d’autant plus persuadé qu’ils lui disaient vrai tous les deux qu’il était sûr qu’il n’y avait point d’intelligence entre eux, donna dans tous les pièges qu’ils lui tendirent. Il n’aurait sans doute jamais dû croire que la Reine voulût tenir de lui, ni même de son entremise, un bijou que le Roi lui aurait donné, s’il avait

  1. Pour prouver combien leur haine leur inspira d’absurdités, il suffira de dire que l’on a imprimé que l’aversion de la Reine contre le cardinal était la suite d’une intrigue amoureuse qu’ils avaient eue ensemble à Vienne. Ce fait serait peu vraisemblable, puisqu’elle n’avait que quatorze ans et demi en 1770, lorsqu’elle vint en France : mais il tombe de lui-même quand on sait que le cardinal n’avait jamais été à Vienne avant son ambassade et qu’il n’y fut nommé qu’en 1771, c’est-à-dire, un an après le mariage de Marie-Antoinette. Crimine ab uno disce omnes. — Note du Roi.