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partout nécessaire de savoir. Elle aurait pu, à la vérité, s’aider surtout des conseils et des lumières des tantes de son mari ; mais ces vertueuses princesses ne pouvaient avoir d’autorité sur elle, et si les manières de la Dauphine, qui étaient celles de Vienne, leur paraissaient trop libres, les leurs, qui étaient depuis longtemps celles de Versailles, paraissaient absolument gothiques à la Dauphine. D’un côté, l’on blâma trop ; de l’autre, on n’écouta pas assez ; et Marie-Antoinette, encouragée d’ailleurs par les applaudissemens du public, commença de bonne heure à se faire un genre de vie qui avait fort bien réussi à sa mère, qui régnait sur des Allemands, mais qui ne pouvait convenir à celle qui régnait sur des Français.

Ses manières ne plaisaient pas non plus à Louis XV. Ce prince ne le lui témoignait pas ; mais sa maîtresse en parlait très hautement, et le duc d’Aiguillon, qui avait succédé au duc de Choiseul dans le ministère et qui était tout dévoué à la favorite, se permit un jour, en parlant de la Dauphine devant plusieurs témoins, de la traiter de coquette. Cette indiscrétion doit d’autant moins surprendre, que, ce même ministre ayant reçu une dépêche du coadjuteur de Strasbourg (depuis le cardinal de Rohan), alors ambassadeur à Vienne, dans laquelle le portrait de Marie-Thérèse était tracé sous l’aspect le plus défavorable, jusqu’à la représenter comme hypocrite, il eut l’imprudence d’en dire le contenu au comte de Mercy, ambassadeur de cette princesse, qui, comme on le pense bien, en instruisit aussitôt la Dauphine. Ces deux faits, ce semble, expliquent assez l’aversion qu’une juste fierté et la tendresse filiale inspirèrent à Marie-Antoinette contre deux hommes qui l’avaient outragée, l’un dans sa personne, l’autre dans celle de sa mère. A mon avis, le duc d’Aiguillon eut grand tort et le cardinal de Rohan ne lit que remplir son devoir, en peignant Marie-Thérèse telle qu’il croyait la voir ; mais, aux yeux d’une fille bien née, cette dernière offense est plus impardonnable que l’autre. C’est sur l’aversion de Marier Antoinette contre ces deux personnages qu’on s’est fondé pour lui donner la réputation de méchante et d’implacable. Je viens de faire voir que cette aversion n’était ni injuste, ni déraisonnable.

Je me permettrai actuellement d’examiner si les effets en furent aussi atroces qu’on a cherché à le persuader. Il faut pour cela rapprocher des faits qui se sont passés à des époques