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fille de Marie-Thérèse. Ce hasard pourrait tout au plus former un préjugé en sa faveur, avant que ses actions eussent pu la faire connaître, et, d’ailleurs, qui ne sait combien ces préjugés sont souvent démentis par les faits ? Caligula naquit de Grermanicus et d’Agrippine ; Octavie, de Claude et de Messaline. Prenons Marie-Antoinette à l’époque où je l’ai vue pour la première fois, à son arrivée en France.

Tout le monde se rappelle ses premiers succès ; ils n’ont rien d’étonnant. Les Français mettaient alors leur amour-propre à idolâtrer leurs souverains. Mais cinquante-cinq ans de règne, des malheurs, des mœurs trop peu réglées, avaient excessivement atténué ce sentiment à l’égard de Louis XV. Il était tout simple qu’il se portât vers l’astre qui paraissait alors à l’horizon. D’ailleurs, la jeune Dauphine le justifiait par sa figure qui, sans Être précisément jolie, était cependant une des plus agréables que l’on pût voir, par ses grâces, et par une affabilité dont elle avait pris l’exemple de sa mère, et qui contrastait avantageusement avec l’étiquette sérieuse, même un peu triste, qui régnait alors à la Cour.

Mais sa position était assez délicate. La maîtresse de Louis XV était l’ennemie du duc de Choiseul. Ce ministre passait pour fort attaché au système d’alliance avec l’Autriche et Marie-Thérèse l’avait toujours vanté à sa fille, qui, de son côté, croyait lui avoir obligation d’un mariage qui la plaçait fort au-dessus de ses sœurs. De plus, Marie-Antoinette aurait cru s’avilir en traitant avec quelque distinction une femme que sa naissance avait placée dans la dernière classe de la société, d’où sa conduite n’avait pas mérité qu’elle sortît. De là, il résulta que le Roi, qui naturellement aurait eu du penchant pour la Dauphine, en était sans cesse éloigné par ceux qui le gouvernaient, — surtout depuis l’exil du duc de Choiseul, — et cet éloignement devint pour elle un mérite de plus aux yeux du public qui n’aimait pas la Cour.

Cela n’empêchait pas que ce ne fût un véritable malheur pour elle. La Reine, femme de Louis XV, était morte ; la mère du Dauphin l’était également. Ainsi la Dauphine se trouvait, à quatorze ans et demi, la première à la Cour, sans avoir personne qui pût régler sa conduite, car le Dauphin était trop jeune et trop inexpérimenté pour être le guide de sa femme et pour pouvoir même lui apprendre les usages de son pays, chose qu’il est