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le croire lorsque M. Chabert, prenant les devans sur la commission, a écrit une lettre à un journal pour dire : — C’est moi, oui, c’est bien moi qui suis en cause ! Me, me adsum qui feci ! — Mais M. Chabert ne se vantait-il pas ? Si c’était effectivement lui, quel « intérêt supérieur » pouvait exiger le silence sur son nom, si peu effrayant en apparence ? Sa lettre donnait bien à ce sujet un renseignement qui avait son prix ; ce prix, toutefois, était-il assez grand pour expliquer la. démarche effarée de M. Millerand et le mutisme angoissé de M. Combes ? Il paraît que M. Chabert, qui, du reste, a déclaré ne pas s’occuper de politique, — non, grand Dieu ! il a dit à la commission d’enquête que tous ceux qui y touchaient étaient aussitôt déshonorés, — il paraît donc que M. Chabert, à la veille des élections de 1902, a versé 100 000 francs dans une caisse électorale particulièrement bien vue du gouvernement de cette époque. C’était celui de M. Waldeck-Rousseau, et M. Millerand, qui en faisait partie, avait invoqué auprès de M. Combes la solidarité naturelle entre gouvernemens successifs, mais analogues, pour lui recommander la discrétion. M. Chabert terminait sa lettre noblement. « Il résulte, écrivait-il, de tous ces incidens que cette malheureuse politique finira par écarter des concours précieux et par lasser bien des dévouemens. » Ce qui veut dire en bon français que, si on fait tant de bruit autour de leurs noms, M. Chabert et ses amis, — car la somme de 100 000 francs était le fruit d’une collecte, — cesseront de financer.

Est-ce M. Chabert en personne qui a parlé à M. Edgar Combes d’une somme de deux millions que les Chartreux seraient disposés à verser ? Est-ce lui qui, spontanément, a choisi la caisse dans laquelle il a versé 100 000 francs ? Non. Ici apparaît un nouvel intermédiaire que M. Chabert découvre dans sa lettre, et qui n’est autre que M. Michel Lagrave, fonctionnaire du ministère du Commerce et commissaire général de la République à l’Exposition de Saint-Louis. M. Lagrave est un homme intelligent : tout le monde a rendu justice à la manière dont il a organisé notre Exposition en Amérique. Mais il a eu le tort de s’entremettre dans une affaire dont un sentiment plus délicat et plus ferme de sa dignité aurait dû l’écarter. Il a d’ailleurs expié cruellement son imprudence, car rien ne prouve qu’il y ait eu autre chose de sa part qu’une imprudence, et il a été encouragé à la commettre par M. Millerand lui-même. Voici les faits. Un jour, raconte M. Chabert, je crois me souvenir avoir dit à M. Lagrave : « Si les Chartreux étaient malins, ils verseraient annuellement une forte somme à l’une des œuvres philanthropiques patronnées par le gouvernement, et