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compris et que les paroles soient entendues. Les modernes font exactement le contraire et vous risquez fort, si vous n’êtes informés d’avance, d’ouïr tout le premier acte d’un Fils de l’Etoile sans en découvrir le sujet, faute d’en saisir un mot.

Le bon sens encore conseille à Gluck de chercher et lui permet de produire les plus grands effets, dramatiques ou musicaux, par les moindres moyens, j’entends par les plus simples et les plus courts. Au premier acte, après les déclarations de l’oracle, quelques mesures suffisent à mettre en fuite la foule épouvantée et lâche. Ailleurs, pendant la veillée nocturne et plaintive du peuple devant le palais, c’est assez de deux ou trois accords, dans la coulisse, de voix et d’instrumens invisibles, pour que réponde à la douleur de la cité le deuil universel, infini, de la Thessalie entière.

Constamment, ainsi, tout dans cet art est raison, tout y est sobre et stricte vérité. L’orchestre, pas plus que la déclamation, n’offre la moindre trace de recherche et d’artifice. Il est admirable, cet orchestre, de franchise et de spontanéité. Jamais un instrument n’y élève la voix, qui n’ait avec la situation, avec le sentiment, les rapports les plus étroits, mais les plus naturels. Quelle sagesse aussi préside à la distribution des sonorités ! Tandis que l’orchestre moderne s’obstine à jouer, à « donner » toujours et tout entier, l’orchestre de Gluck se partage et se réserve, il ménage ses ressources et ses effets, et c’est ainsi qu’une ritournelle, que dis-je, une note isolée, prend une valeur, une couleur, expressive et musicale, dont la justesse nous étonne et nous ravit.

Il n’y a pas jusqu’au dénouement de la tragédie musicale (par la facile intervention d’Hercule), dont la simplicité ne soit encore du bon sens. Le romantisme de Berlioz ne pouvait souffrir cette conclusion innocente et volontairement négligée. « Que se passe-t-il donc, écrit-il, ou s’écrie-t-il, que se passe-t-il donc à certains momens dans ces grands cerveaux ? On pleurerait de douleur à ce spectacle ! » On ferait peut-être mieux de sourire. Gluck finit ici comme finit Molière tant de fois, avec bonhomie, et seulement pour finir, l’un n’ayant plus rien à dire de nos ridicules, l’autre, de nos passions, de nos vertus et de nos malheurs.

Enfin, — et pour justifier jusqu’au bout un éloge que plusieurs pourraient trouver inégal au génie de Gluck, si même il ne leur en paraissait indigne, — il serait aisé de montrer comment le bon sens est à la base, ou plutôt au sommet de cet art ; nous dirions : de cet idéal, si nous ne craignions l’apparente antinomie des mots. Pour sujet ou pour matière morale de ses chefs-d’œuvre, Gluck ne prend que les sentimens