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psychologique à l’analyse musicale, après la matière ou l’intérêt de sentiment, l’intérêt technique ne ferait pas défaut. On n’aurait pas de peine à montrer ce que vaut cette musique, non plus « comme représentation, » mais en soi. Aussi bien les deux ordres d’idées, autrement dit les deux termes, — le son et l’âme, — dont le rapport mystérieux constitue la musique, se commandent ou se « conditionnent » l’un l’autre, et la critique ne les sépare jamais que par un artifice et pour faciliter son travail en le divisant.

Dans la nouvelle partition de M. Massenet, chaque élément sonore est d’une qualité choisie. La grâce mélodique abonde, mais ne dégénère jamais en affectation ni en mièvrerie. L’idée musicale est juste, fine, et le demeure jusqu’au bout ; la phrase finit avec élégance, avec retenue, et sans tomber jamais de cette chute que M. Massenet n’a pas toujours ailleurs évitée assez soigneusement, pâmée et comme mourante. Les modulations n’ont pas moins de naturel et de simplicité que les cadences. La vérité de la déclamation est égale au charme de la mélodie. Peu de mots et peu de notes suffisent constamment à dire beaucoup. Ainsi tout est discret, mais efficace ; pas un épisode, pas un accessoire et, comme disent les peintres, pas un « passage » n’est indifférent. Rien de plus ingénieux que tel contrepoint, tel contre-chant de l’orchestre ou des voix. Écoutez, pour vous en convaincre, les chœurs du premier acte et les trois couplets, si délicatement et si diversement ornés, de l’« Alléluia du vin. » Autant que la trame harmonique, le tissu de l’orchestre est souple et brillant. La symphonie, enfin, sans laquelle il n’est plus de musique de théâtre, la symphonie se joue à travers tout l’ouvrage, y semant, selon le précepte antique, non pas à plein sac, main d’une main légère, des motifs qu’elle se plaît tantôt à rappeler sans insistance et tantôt, modérément toujours, à développer.

Dans cette partition où rien ne traîne, rien non plus ne tourne court. La musique de théâtre n’y abdique pas ses droits de musique pure. La ronde populaire du premier acte, dansée et chantée autour du jongleur, a presque les proportions, avec les allures, d’un scherzo de symphonie, et c’est un finale en miniature, mais complet, y compris la coda, que la dernière reprise de l’« Alléluia du vin. »

En un mot, — par lequel il nous plaît de conclure, — le musicien du Jongleur de Notre-Dame ne fut jamais un ouvrier plus adroit, plus honnête aussi, de la forme, de toutes les formes sonores. Plus honnête : entendez par-là plus sévère à lui-même, plus scrupuleux, plus fidèle au devoir de n’exprimer, le mieux possible, que ce qu’il avait