Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnaissante et de son visage refleuri. C’est peu, quoique le frère cuisinier, que son humble besogne rend indulgent et bon, assure que c’est assez. Mais Jean a résolu d’essayer davantage et d’honorer la Vierge à sa manière, à sa leste manière d’autrefois, que sa piété fera pieuse et qui peut-être ne sera pas méprisée.

Un soir donc, il se glisse dans le sanctuaire, où, devant la Madone, et pour elle, il reprend, avec son costume, ses jeux, ses tours et ses refrains de jongleur. Les moines, accourus au bruit, s’exclament et s’indignent ; frère Boniface, lui seul, s’émerveille et s’attendrit. Jean ne les a pas entendus. Emporté, ravi par le vertige de sa mélodieuse et bondissante oraison, il ne voit même pas d’abord le miracle qui la consacre et la récompense. L’image de la Vierge s’anime et s’éclaire ; du front sacré l’auréole descend et se pose sur le front ruisselant, pour le rafraîchir et pour le couronner. Épuisé de fatigue, mais enivré d’amour et de joie, le jeune homme s’arrête ; il s’affaisse doucement et, voyant enfin le ciel s’ouvrir, il sourit et meurt.

Il meurt longuement, bercé par le cantique, un peu facile, d’anges trop attendus, et ce moment de faiblesse ou de fadeur gâte la conclusion d’une œuvre à cela près exquise. La mort même du héros, eût-elle été plus brève, était de trop. Elle n’est pas à la mesure, pas dans le ton du sujet, qu’elle dépasse et dépare. Les deux conteurs qui nous avaient déjà, l’un en prose et l’autre en vers, conté la naïve légende, MM. Anatole France et le vicomte de Borrelli, s’étaient gardés de cette exagération. Ils avaient dénoué le nœud léger d’une main plus légère. Le poète avait dit :


Tous la virent, quittant le haut du tabernacle,
Descendre jusqu’au sol en un glissement doux ;
Puis, le parvis atteint, y marcher comme nous.
Et lui, l’humble, — pour qui se faisait un miracle, —
La regardait venir, en ployant les genoux.
Et, comme il restait là, secoué jusqu’aux moelles,
— Blanche, dans le reflet des vitraux de couleur, —
La belle dame au front auréolé d’étoiles
Essuya, de l’ourlet auguste de ses voiles,
La sueur qui perlait aux tempes du jongleur[1].


Au théâtre même, en dépit de prétendues convenances dramatiques, qui ne sont ici que des conventions, il ne fallait pas d’autre

  1. Rimes d’argent, par M. le vicomte de Borrelli ; Paris, A. Lemerre.