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public n’est pas tenu de chercher ici l’ « esprit » sous la « lettre ; » il lui est bien loisible de prendre garde seulement à l’affabulation plus ou moins intéressante de mon drame. » Nous ne vous cacherons pas que le public a paru profiter de cette permission.

Sur l’un des premiers exemplaires du Fils de l’Étoile, au début de chaque acte, on lit, en grosses lettres : « Épreuve. » Et ce terme n’est pas seulement d’imprimerie : il prend aussi le sens et la valeur d’un symbole. Il dit avec exactitude ce qu’est aujourd’hui la lecture d’abord, puis l’audition des opéras en général et en particulier de cet opéra, l’un des plus « éprouvans » que depuis longtemps il nous, ait fallu subir.

La plupart des ouvrages représentés à l’Académie nationale de musique pourraient se partager en deux classes. Les uns, faibles, pauvres et vides, pèchent par défaut ; les autres, au contraire, par excès : par la surabondance et la surcharge, par la prétention, la complication et le tapage. Le Fils de l’Étoile appartient à la seconde catégorie.

Que pourrions-nous dire d’une telle œuvre, que nous n’ayons déjà dit de bien d’autres, et, par exemple, d’Astarté, pour n’en citer qu’une, au hasard ? Sans doute, entre les deux opéras, il siérait de faire quelques distinctions ; mais elles disparaissent et se fondent dans la ressemblance générale, dans un commun parti pris de longueur, de lourdeur, de pathos et de frénésie : « L’éloquence continue ennuie ; » mais la violence ininterrompue assomme, et quatre heures de paroxysme sonore sont difficiles à passer.

Le dernier moment est le meilleur, et, si vous avez la patience de l’attendre, il vous apportera quelque réconfort. La mort du héros et de la pure héroïne, la déploration que chante sur leurs cadavres unis, parmi les décombres du temple, le dernier des pontifes hébreux, tout cela ne manque ni de grandeur ni, — par exception, — de simplicité. La musique donne ici l’impression tragique, ou plutôt épique, de l’anéantissement d’un peuple et d’un pays. Mais il est trop tard, et l’extrême fin d’un pareil opéra n’en saurait faire oublier le reste, qui véritablement est affreux.


La carrière glorieuse et déjà longue de M. Massenet abonde en surprises. Il n’est rien qu’on ne puisse attendre du plus ondoyant de nos compositeurs. On croit parfois qu’il s’échappe, ou se dérobe, ou s’oublie. Il a des écarts et comme des fuites soudaines. Mais soudain aussi il se reprend, il se retrouve, il revient. Et le Jongleur de Notre-Dame est un de ces retours délicieux.