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d’autres œuvres, plus étroitement apparentées à l’esprit de la littérature contemporaine, que va la faveur publique, en cette prétendue résurrection. Un seul nom est cité par M. Nield, et certes il est considérable : c’est celui des frères Marguerilte, dont le Guide mentionne le Jardin du Roi et la série des quatre volumes réunis sous le titre d’Une époque. Il resterait à savoir si nous refuserons la qualité d’historiques aux romans où l’idéologie sociale de M. Paul Adam pousse ses explorations à travers les périodes de l’Empire et de la Restauration ; et nous voilà ramenés à la question des limites du genre, avec ceux où M. Maurice Barrès interprète les crises politiques des dernières années et ceux encore où Mme Marcelle Tinayre et M. Henri de Régnier avivent des teintes du passé leurs pastels de figures sentimentales. J’omets à dessein toute cette profusion d’œuvres récentes qui, cherchant à rehausser d’un décor de style les vieilles scènes naturalistes, ont fait, avec talent quelquefois, — quelquefois seulement, — de la reconstitution un prétexte et de l’histoire un paravent.

Est-ce à dire que nous n’aimions pas l’histoire, en France ? Nous l’aimons peut-être autrement que les Anglais. Notre esprit lucide et critique s’accommode moins d’un genre que de nouvelles exigences nous font paraître assez faux. Au temps du romantisme, dans l’indétermination du roman et de l’histoire, le roman historique put nous éblouir un instant de leur double prestige. Mais le roman est devenu de plus en plus vrai ; l’histoire s’est faite de plus en plus vivante. Le genre mixte qui les a précédés n’a pas les mêmes raisons de leur survivre. Notre roman d’observation et d’analyse, notre roman psychologique, social, politique, est de l’histoire future ; l’histoire, telle que nous l’entendons, sait donner aux physionomies qu’elle évoque et aux milieux qu’elle ressuscite une intensité de vie que pourrait lui envier le roman, Des livres comme ceux de Mme Arvède Barine, de M. Henry Houssaye, de M. Gilbert Augustin-Thierry, de M. Lenôtre n’ont pas besoin d’une fiction qui diminuerait leur valeur sans rien ajouter à leur attrait ; et je doute que, parmi les cent dix-huit romancières anglaises citées par M. Nield il y en ait beaucoup dont nous ayons à lire une œuvre plus captivante que La Grande Mademoiselle ; je me demande si les trois cent quatre-vingts auteurs anglais contemporains ont donné beaucoup de romans historiques supérieurs, j’entends comme intérêt même d’action ou d’intrigue, à 1814, cette héroïque histoire d’une fin d’empire, et à Tournebut, ce véridique récit d’une conspiration.


FIRMIN ROZ.