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essentielles que nous venons d’indiquer, on en voit s’ajouter plusieurs autres, parmi lesquelles il nous suffira de citer l’inépuisable fécondité de l’histoire à fournir des sujets dont l’amour ne soit ni le seul, ni le principal attrait, voire où il ne tienne aucune place.


Au-dessus des conditions propres à chaque pays, le mouvement général des esprits favorisait partout la production du roman historique. Les progrès de l’histoire, et les minutieuses recherches qui l’aident à ressusciter « la vie intégrale du passé, » rattachèrent bientôt le genre à la tendance réaliste de la seconde moitié du XIXe siècle. L’étude des documens remplace l’observation directe, et nous voyons surgir, de la poussière des ruines et de l’ombre des bibliothèques, les civilisations disparues. L’histoire ne se borna plus à servir le roman : elle le prit à son service ; il devint son auxiliaire, l’auxiliaire même de l’érudition et de l’archéologie. La plupart des romans sur l’ère pré-chrétienne et les premiers siècles, à moins qu’ils ne soient de prolixes paraphrases bibliques ou évangéliques, dues à la plume trop facile des Anglaises ou des pasteurs leurs compatriotes, se trouvent dans ce cas. On n’est pas surpris de les voir souvent signés de noms allemands : l’égyptologue Georg Ebers, qui est représenté par douze romans, dont neuf se rapportent à sa spécialité, tandis que trois mettent en scène l’Allemagne du XVIe siècle ; Wilhelm Walloth, A. Glovatski, Ernest Eckstein, Georg Taylor. Déjà F. Strauss avait devancé ce mouvement avec son Pèlerinage d’Helon à Jérusalem (1824). Gustav Freytag, dans sa fameuse série Die Ahnen, suit l’histoire d’une famille de manière à illustrer les phases successives de la civilisation germanique, depuis le IVe siècle. Félix Dahn puise dans l’histoire des invasions barbares aux IVe, Ve et VIe siècles. Nous retrouvons là le Dernier Athénien, de Rydberg, Marius l’Épicurien, de Walter Pater, la Mort des Dieux, de Merejkowski, la Salammbô, enfin, de notre Flaubert ; mais surtout et toujours des romans anglais, en nombre qui va croissant à mesure qu’on sort du domaine de la pure érudition. Tandis qu’il y en a 14 sur 23 pour l’ère pré-chrétienne et 5 sur, 7 pour le IIe siècle, nous en comptons 58 sur 61 pour le XVe, 119 sur 140 pour le XVIe, 224 sur 246 pour le XVIIe, 240 sur 262 pour le XVIIIe, 167 sur 200 pour le XIXe.

Cette progression est une preuve que le genre devenait facile, trop facile sans doute, et d’une élasticité complaisante, qui se prête aux compromissions. On ne peut s’empêcher de se demander combien d’œuvres, dans cette masse dont presque tout reste inconnu, ont