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attention de la poésie vers le roman en prose[1]. » De toute cette littérature, M. Nield n’a mentionné que deux œuvres : Saint Clair des Iles (1804) par Elizabeth Helme, et les Frères hongrois (1807) de A. M. Porter.


C’est donc avec le XIXe siècle et ses deux grands mouvemens du romantisme et du réalisme que l’histoire devient une riche matière pour le roman.

Quand la littérature abstraite et oratoire du XVIIIe siècle anglais commença de fléchir sous son effort trop longtemps soutenu, quand le goût, fatigué d’un apprêt perpétuel et d’un éclat factice, aspira à se détendre, la nature et l’histoire s’ouvrirent comme des asiles pleins de fraîcheur et de nouveauté, Au lieu du vide brillant, de la lumière sans chaleur, voici enfin des formes et des corps, quelque chose de concret, de vivant, qui parle aux sens, prend l’imagination, éveille la sympathie. Le sens historique apparaît avec le sentiment de la nature, la couleur locale avec le pittoresque. Cette renaissance transforme, de 1780 à 1815, la littérature anglaise : elle y produit la poésie des lakistes et les romans de Walter Scott.

On sait quel fut le triomphe du roman historique avec ce maître incomparable : vérité des mœurs et fantaisie des aventures, vivacité des couleurs et relief des personnages, tout y concourt au plaisir des imaginations réveillées. Un pays pittoresque et plein d’histoire, où le paysage « romantique » est fait du mélange de la nature et des ruines, un écrivain nourri de traditions, dont le génie étonnamment national apparaît comme à point nommé pour évoquer le passé d’une nation qui vit surtout de souvenirs, cette rencontre heureuse donna une des œuvres non pas sans doute les plus achevées ni les plus fortes, mais certes les plus puissantes d’effet qu’ait jamais présentées l’histoire littéraire. Walter Scott figure pour vingt-sept romans dans la bibliographie de M. Nield. Il importe de remarquer que les sujets sont d’abord presque exclusivement nationaux. De 1814 à 1821, tous les romans sont tirés de l’histoire d’Ecosse, sauf Guy Mannering et Ivanhoé. C’est l’époque des chefs-d’œuvre : Waverley, l’Antiquaire, Old Mortality, Rob Roy, le Cœur du Midlothian, la Fiancée de Lammermoor, l’Abbé, le Monastère. Plus tard, quand l’inspiration sera tombée, la fatigue venue, et qu’il faudra produire encore, le romancier cherchera des sujets dans les contrées étrangères : Quentin Durward, le Talisman, Anne de Geierstein, le Comte Robert de Paris.

  1. Edmond Gosse, Littérature anglaise, ch. VIII. (Traduction de Uenry-D. Davray.)