Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès. Ses partisans, éblouis par les envolées du maître, préoccupés de leur fournir des appuis nouveaux, sont bientôt tombés dans des exagérations qui ont frappé tous les yeux.

La supposition d’une grande « révolution » coupant l’histoire de la terre en deux portions et se déchaînant peu après l’apparition des hommes qui en auraient gardé le souvenir, a semblé à tout le monde pleinement justifiée. Même, on admit sans trop de peine que plusieurs cataclysmes analogues avaient précédé celui-là. Mais bientôt on reconnut que chaque époque géologique a ses fossiles propres : et c’est la grande découverte simultanément faite par Brongniart et par Smith, découverte qu’on peut regarder comme fournissant à la géologie tout entière l’un de ses fondemens principaux.

Alcide d’Orbigny s’est rendu célèbre par le soin qu’il a pris de définir, par les vestiges organiques qui sont enfouis dans le sol, chacune des époques géologiques. Dans son Cours élémentaire de paléontologie et de géologie stratigraphiques, il a résumé en quelques lignes le point essentiel qui lui semblait démontré : « Une première création, dit-il, s’est montrée avec l’étage silurien. Après l’anéantissement de celle-ci par une cause géologique quelconque, après un laps de temps considérable, une seconde création a eu lieu dans l’étage dévonien ; et successivement vingt-sept fois des créations distinctes sont venues repeupler toute la terre de ses plantes et de ses animaux, à la suite de chaque perturbation géologique qui avait tout détruit dans la nature vivante. Tel est le fait, le fait certain, mais incompréhensible, que nous nous bornons à constater, sans chercher à percer le mystère surhumain qui l’environne. »

Cela était écrit en 1849 et l’opinion de d’Orbigny était partagée par tout le monde ; il semblait qu’elle fût définitive. Les progrès de la paléontologie montrèrent peu à peu qu’elle était complètement inacceptable. Des études de détail firent voir que les vingt-sept créations successives ne suffiraient pas à expliquer les faits observés ; dans chaque région, on constata des apparitions et des disparitions subites de formes, en pleine épaisseur de formations bien homogènes, et bientôt des savans de premier ordre, entraînés par une réaction nécessaire s’élevèrent contre la doctrine en vogue. Selon le conchyliologue Deshayes, « il est plus facile de comprendre une création qui, une fois commencée, un plus une seule interruption Que de concevoir ces sortes de