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coups répétés, il s’est réveillé d’une longue torpeur ; il est à craindre qu’il n’ait trouvé, chez un voisin actif et ambitieux et qui a sur nous l’immense avantage de ne pas être éloigné de lui de plus d’un quart de la circonférence du globe, les élémens qui achèveront de le ranimer. Dans un article qu’a publié la North American Review de mai, le comte Cassini, ministre de Russie à Washington, attirait l’attention des Américains sur le danger qu’il y aurait à laisser le Japon façonner l’armée chinoise. Au point de vue économique, comme au point de vue militaire, l’Asie du Nord-Est essaiera de s’affranchir de notre tutelle : ce qui ne veut point dire que notre commerce et notre industrie devront nécessairement souffrir de cette évolution, qui est presque une révolution. Des nations qui se forment et se développent ne restreignent pas leurs échanges internationaux ; seulement, la nature des relations changera : nous aurons plus de peine à nous substituer aux indigènes pour exécuter les travaux publics, construire les chemins de fer, exploiter les mines : nous trouverons, d’autre part, dans des populations plus riches, se civilisant chaque jour davantage, des consommateurs plus avides de nos produits, plus capables de les apprécier et de les payer. Mais il nous faut souhaiter que cette transformation de la Chine s’accomplisse sous l’hégémonie russe et non sous celle du Japon. Ce dernier deviendra vraisemblablement, après la guerre, très protectionniste : il voudra à la fois défendre son industrie indigène et augmenter le revenu de ses douanes, gage de ses créanciers. Il n’y a rien d’invraisemblable à ce qu’il impose un droit de sortie sur les soies.

Le conflit dont les péripéties se déroulent aura l’effet ordinaire de ces chocs sanglans ; après avoir déchaîné les forces brutales de la guerre, ils stimulent les efforts pacifiques : non seulement il faudra réparer les ruines, réédifier les ports, reconstruire les flottes, rétablir les voies ferrées, mais une foule d’entreprises nouvelles verront le jour. Une fois de plus l’humanité, inconséquente et oublieuse des maux passés, se remettra en marche et fera succéder les œuvres de vie à celles de mort, accomplissant ainsi la destinée mystérieuse à laquelle n’échappent ni les peuples ni les individus.


RAPHAËL-GEORGES LÉVY.