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n’avait pas sur place les moyens nécessaires pour lui arracher ses prisonniers de vive force, et d’ailleurs il était à craindre que les malheureux ne fussent mis à mal dès la première menace dirigée contre le bandit. Le gouvernement a donc pris le parti d’entrer en composition avec lui, ce qui est peu glorieux sans doute, ce qui est même très humiliant, mais ce qu’il ne faut pourtant pas juger avec nos idées et nos mœurs européennes. Ces choses-là sont arrivées souvent au Maroc ; seulement on les voyait moins, ou même on ne les voyait pas du tout, tandis que l’éclat de l’incident Perdicaris, augmenté par celui de la manifestation américaine, a frappé l’attention du monde entier. Tous les yeux sont aujourd’hui fixés sur Tanger comme s’il allait s’y passer quelque chose, alors que très vraisemblablement il ne s’y passera rien que d’assez habituel dans un pays où le gouvernement, sur tous les points où il n’est pas immédiatement le plus fort, vit de concessions, de transactions, de capitulations. D’après les dépêches, il a déjà accordé à Erraissouli une partie de ce qu’il demandait, par exemple la révocation du pacha de Tanger. Il est à craindre que cela n’augmente les exigences du brigand : nous ne savons encore, ni où elles s’arrêteront, ni où s’arrêtera le gouvernement marocain lui-même. D’après les dernières nouvelles, il semble que le gouvernement américain demande que M. Perdicaris soit remis en liberté, ou vengé. Il accepterait la seconde hypothèse ; mais le gouvernement du Makhzen est-il en mesure de la réaliser ? On connaît l’histoire de César qui, ayant été dans sa jeunesse fait prisonnier par des pirates, se conduisit spirituellement et gaîment avec eux, et leur promit qu’après avoir payé la rançon à laquelle ils l’avaient estimé, et dès lors reconquis sa liberté, il les ferait pendre. Il ne manqua pas de le faire, C’est une solution qui ne parait être pour le moment à la portée, ni de M. Perdicaris, ni du gouvernement marocain lui-même. Les choses pourront changer par la suite ; mais il y faudra du temps, et nous n’en sommes pas encore là.

L’affaire n’est brillante pour personne, excepté jusqu’à présent pour Erraissouli. Le meilleur parti que nous ayons à en tirer est de nous mettre mieux en mesure pour l’avenir. Nous avons fait au sujet du Maroc un premier arrangement avec l’Italie, un second avec l’Angleterre, et nous en préparons un troisième avec l’Espagne. Quand nous serons d’accord avec ces trois puissances, il faut espérer que nous le serons aussi avec les autres, et qu’elles reconnaîtront ou accepteront le nouveau statut du Maroc. Mais il restera à le faire reconnaître et accepter par le Maroc lui-même. Ce sera d’autant plus difficile qu’il ne