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qui en détermine la direction, et tout au plus s’efforce-t-il quelquefois de le ralentir : nous pourrions citer des exemples où il y a eu peu de succès. L’esprit socialiste souffle aujourd’hui sur l’Université comme ailleurs : y céder est le moyen d’enfler ses voiles et arriver à tout. Lorsque M. le ministre de l’Instruction publique a dit à la Chambre que le livre de M. Gustave Hervé n’avait pénétré dans aucune école, il a été sincère à coup sûr, mais a-t-il dit toute la vérité ? Oui, à prendre les choses strictement et matériellement ; non, a les prendre moralement.

Le lendemain de la séance de la Chambre, M. Hervé a écrit à M. Jaurès une lettre ironique où il lui disait : « Sans le moindre écœurement, car j’ai l’estomac solide, je vais redoubler de propagande auprès des instituteurs qui, dans une foule de conférences pédagogiques, même à Paris, ont demandé l’inscription de mon livre. » Cette révélation jette un jour fâcheux sur l’état d’esprit des instituteurs, non pas de tous assurément, ni du plus grand nombre sans doute, mais de beaucoup, et nous nous demandons si M. Chaumié n’a pas trop rassuré la Chambre. Quand il a décrit la filière qu’un livre doit traverser pour entrer dans les écoles, l’appareil a paru assez compliqué pour remplir son but. Comment un mauvais livre y pourrait-il passer ? Soit, il n’y passe pas, il est arrêté dès le premier pas. Mais il faut qu’on l’arrête, car, si M. Hervé a dit vrai, « une foule de conférences pédagogiques » l’ont demandé, et cela est inquiétant. Que penser des instituteurs qui demandent le livre de M. Hervé ? Ils le connaissent, ils l’ont lu, ils l’ont jugé bon : dès lors, est-il téméraire de croire qu’ils s’en inspirent et que leur enseignement en porte la marque ? Allons plus loin, est-il exact, strictement exact que le livre ne pénètre pas dans les écoles ? Sans doute, il n’est pas mis au rang des ouvrages scolaires et les élèves ne peuvent pas en user directement à ce titre. Mais l’instituteur ? Le Journal des Débats a publié une lettre d’un honorable correspondant qui donnait son nom comme garantie de son assertion, et qui disait deux choses : d’abord que, dans l’école de sa commune, le livre de M. Hervé avait été fort bien mis entre les mains des élèves au mois de décembre dernier : on l’en avait retiré au bout de quelques jours de crainte d’un scandale. Mais, ajoutait-il, il a reparu sournoisement par la suite sous forme de dictées, et maintenant l’instituteur rassuré n’hésite plus à le prêter aux élèves. Nous espérons que l’interpellation de l’autre jour aura fait réfléchir l’instituteur et que le livre disparaîtra de nouveau. Sera-ce pour longtemps ? Et enfin, ce qui se passe pour le livre de M. Hervé ne se passe-t-il pas pour d’autres, car