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nous payons de mots, nous nous complaisons dans des affirmations purement oratoires, nous faisons des phrases patriotiques après lesquelles nous nous croyons quittes envers la patrie.

Car la Chambre vibre toujours lorsqu’on invoque devant elle de nobles sentimens. Elle est loin d’être satisfaite de tout ce qui se passe, et, si elle le supporte ou le subit par faiblesse, elle a des momens de révolte où se manifeste sa secrète inquiétude. Alors, qu’un incident survienne, qu’une parole un peu chaude s’élève, et la Chambre retrouve en elle ces vieux instincts français qui paraissaient endormis, et qui se réveillent tout d’un coup. Malheureusement ces réveils sont rares et courts. Le phénomène s’est produit l’autre jour à propos d’un manuel d’histoire qui a été déjà la cause de beaucoup de polémiques, et dont l’auteur, M. Gustave Hervé, est un professeur, publiciste à ses heures, qui s’est rendu célèbre par des articles de journaux où il proposait de planter le drapeau tricolore sur du fumier. Le trait a paru fort : aussi M. Hervé a-t-il été l’objet de mesures disciplinaires qui lui ont fait des loisirs, qu’il consacre à écrire des livres. S’il les écrivait pour le grand public, nous n’aurions rien à dire. Mais ce sont des livres de classe, des manuels scolaires, et on peut juger de l’esprit qui les anime. Nous avons tort de parler au pluriel ; nous ne connaissons encore de M. Hervé qu’un volume. C’est une histoire universelle, rédigée à grands traits, avec des abréviations et des suppressions significatives, et, tout à côté, des développemens qui ne le sont pas moins. Des images impressionnistes illustrent le texte : on n’y voit guère que des scènes de massacres, de meurtres, et d’incendies. Le livre n’est pas fait sans adresse. M. Hervé vise à se montrer impartial, et on pourrait citer de lui des pages où il n’y a rien à reprendre ; mais ce procédé de composition sert à faire passer, tantôt d’autres pages, tantôt quelques lignes ou même quelques mots où il met sa véritable pensée. M. Hervé est un socialiste militant. Tel est son livre. Fait pour les classes, peut-il y pénétrer ? C’est la question qui s’est posée devant la Chambre, à propos d’une interpellation de M. Grosjean. D’après M. Grosjean, un instituteur aurait distribué le livre de M. Hervé à ses élèves. Il paraît bien que l’instituteur en avait eu effectivement la pensée, car il avait adressé une commande de plusieurs exemplaires à un libraire ; mais il s’est arrêté à temps, et la commande a été retirée. M. le ministre de l’Instruction publique a affirmé que le livre en cause n’avait pénétré jusqu’ici dans aucune école, et aussitôt l’extrême gauche a voulu clore le débat, sous prétexte qu’on ne pouvait pas interpeller à propos d’un fait reconnu inexact. Mais