Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlementaire, et l’atteint dans ses conditions mêmes, dont l’une est, selon Bagehot, « l’indépendance des représentans » et l’autre « l’esprit de modération. » Avec le Caucus, dans le système nouveau, la grande qualité du représentant n’est plus l’indépendance ; c’est, au contraire, l’orthodoxie étroite, qui croit, qui ne discute pas ; et, de même qu’il y eut un conformisme religieux, il y a un conformisme politique, auquel on a donné tout justement ce nom : conformity. Les tables de la loi, ce sont les résolutions, les ordres du Caucus : il n’est de foi que de les connaître, et de salut que de les exécuter.

D’autre part, la seconde vertu du parfait représentant suivant le modèle antique, la modération, disparaît sous l’effort de surenchère que le Caucus impose à ses candidats. Et c’est de la sorte « que le ton radical du personnel parlementaire s’est élevé brusquement, durant les quinze dernières années, au-dessus du niveau de la moyenne du corps électoral et que s’est produit ce nouveau type de député anglais toujours prêt à marcher de l’avant sans savoir au juste où il va et où il s’arrêtera, ou même s’il s’arrêtera[1]. » Il ne va pas tout à fait jusqu’à promettre, comme la légende veut qu’on l’ait fait ailleurs, « la suppression de la lune rousse, » mais pas bien loin. « Vous engagez-vous, — demandait-on un jour en réunion publique à l’un de ces hommes à qui les engagemens ne coûtent pas, — vous engagez-vous à voter pour l’abrogation des dispositions du chapitre XX du second livre de Moïse ? — Certainement, s’empressa-t-il de répondre, sans même avoir saisi la fin de la phrase, je n’hésiterai pas ! » Un fou rire éclata dans la salle. « Qu’est-ce donc ? interrogea le politicien, un peu démonté, en se penchant vers le président. — Mais rien, fit l’autre placidement. Vous venez de prendre l’engagement de faire abroger les dix commandemens. Voilà tout. »

Le Caucus fausse encore le régime parlementaire en ce que, au lieu que les députés, comme des chefs de clan, amènent leurs contingens au leader, c’est le leader ou le « tireur de ficelles, » le wire-puller, du Caucus qui leur fournit leurs troupes, et qui les leur tient attachées. Il le fausse enfin, en ce qu’il fausse l’expression de l’opinion publique et qu’en même temps qu’il substitue son autorité à l’autorité du Parlement, il substitue ses

  1. Ostrogorski, ouvrage cité, I, 569.