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LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE.

des rythmes et la grâce des tableaux, tout donne ici l’impression d’un La Fontaine musicien.

Il peut arriver que la mélodie, — elle ne fait encore que de naître, ou de renaître, — paraisse un peu courte pour la beauté plus ample de certains alexandrins, par exemple, de ceux-ci :


Ô Dieu ! combien de fois sous les feuillus rameaux
Et des chênes ombreux et des ombreux ormeaux,
J’ai tâché marier mes chansons immortelles
Aux plus mignards refrains de leur chansons plus belles !


Une semblable période comporterait aujourd’hui une longue et large cantilène. Elle est notée au contraire en traits un peu courts et comme brisés, mais singulièrement vifs et brillans. Tel est le style de l’époque. Mais l’abondance, le coloris, le parfum, rachètent ici la brièveté, et l’œuvre entier de Lejeune est un avril de fleurs sonores, tout un printemps de chansons.

L’une d’elles (Du triste hyver) résume ou mieux domine les autres. Elle a pour sujet la contemplation grave, parfois émue, de la terre, de la mer et des cieux. Ici, au-dessus du contrepoint s’élève et plane une mélodie admirable d’ampleur et souvent de pathétique. Les périodes se déroulent avec une croissante magnificence. Les images poétiques, de mythologie ou de nature, s’encadrent et se rehaussent d’éclatantes sonorités. Les grands spectacles de l’univers sont décrits et presque égalés. Et le sentiment se mêle à la peinture : sentiment sérieux, même sacré, du mystère des mondes et de leur beauté. Nous ne sommes plus ici devant un « Printemps » de chanson, encore moins de romance, mais de poème, de poème cosmique et religieux. Le tableau n’a pas son égal dans l’œuvre de Lejeune ou de ses contemporains ; antique par la simplicité des lignes, par l’évocation des héros ou des dieux, il semble moderne par je ne sais quoi de rêveur, de mélancolique et de vaguement troublé.

Ce n’est pas seulement le dehors, mais le dedans, le cœur même de l’homme, et tout son cœur, que la musique du XVIe siècle a chanté. Elle en a compris, exprimé les mouvemens légers autant que les passions profondes : la gaieté naïve et l’esprit gaulois, voire libertin ; l’ardeur, l’héroïsme de l’amour divin et les transports, heureux ou désespérés, des humaines amours.

La collection de M. Expert abonde en « chants gaillards, » comme disait Costeley ; mieux faits assurément pour « exciter…