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mode ancien et dans l’imprévu de certaines chutes ; tantôt dans les reprises ou les répétitions, tantôt au contraire dans les suspensions ou les réticences. Chef-d’œuvre d’harmonie et de contrepoint, cette petite pièce en est un aussi de mélodie, de mélodie naissante qui déjà se développe et s’organise. Pour le sentiment et pour le style, la musique d’alors n’offre pas de tableau plus délicieux.

Elle en a de plus vastes.


J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs,


Et j’en sais peu d’aussi beaux, d’aussi sereins que celui-ci, que Roland de Lassus a chanté :


 
La nuit froide et sombre,
Couvrant d’obscure ombre
La terre et les deux,
Aussi doux que miel
Fait couler du ciel
Le sommeil aux yeux.


La musique transforme et surtout agrandit ces petits vers. Des valeurs longues, lentes, reculent à l’infini l’horizon, et le remplissent. Par une effusion grandiose, incessamment renouvelée, la mélodie répand le sommeil, et les accords — la puissance expressive de l’harmonie se révèle ici tout entière — les accords, de mesure en mesure, épaississent davantage les voiles de la nuit.

Jannequin, Lassus nous étaient familiers. Mais, avant la publication de M. Expert, c’était un inconnu que Claude Lejeune, et c’est un maître.

Il l’est dans tous les genres, y compris le paysage. Des quatre livres de son Dodécacorde, le premier seul est de musique religieuse ; les trois autres sont consacrés au Printemps, dont ils portent le nom. Mêlant dans ses chants la jeunesse de l’année à celle de la vie, le musicien a fait la part de la nature aussi grande que celle de l’amour. Nous parlions plus haut de la Belle Aronde. Les deux pièces qui précèdent celle-ci l’égalent par la souplesse et la variété du discours, par l’ordonnance des « chants » et du « rechant, » par le progrès double et proportionnel de l’ampleur des vers et du nombre des voix. L’aisance, la diversité