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expression de la vie et de la vérité. Personne au XVIe siècle ne douta, comme on l’a fait souvent, trop souvent depuis, que la musique, au fond et par nature, soit le rapport entre la sensibilité et le son. La théorie d’une beauté musicale spécifique, c’est-à-dire étrangère au sentiment, eût également étonné, peut-être indigné les poètes et les musiciens. Ne fût-ce que par souvenir et par amour de cette antiquité qu’on se flattait d’imiter, de rappeler en tout, on croyait fermement au pouvoir expressif, au caractère psychologique et moral de la musique. Il n’est pas un écrit du temps, discours, éloge ou dédicace, qui n’atteste cette conception en quelque sorte éthique, et par-là véritablement antique, de notre art. Le triste Calvin lui-même ne reconnaissait-il pas dans la musique une « vertu secrète et quasi incrédible à émouvoir les cœurs en une sorte ou en l’autre ? » Ronsard, dans sa lettre aux deux rois de France, célèbre la musique avec des expressions, il en rapporte certains effets, qu’on dirait empruntés soit à l’histoire des Hellènes, soit à leur légende.

Le pouvoir d’apaiser l’âme ou de la « purger, » que les Grecs appelaient la ϰάθαρσις, était tenu alors, comme dans l’antiquité, pour une des vertus de la musique. Les éditeurs de Roland de Lassus, offrant les Meslanges du maître à Mgr le Grand Prieur de France, ne lui en promettent pas de bien plus précieux :

Flatterez votre ennuy en buvant la douceur,
Des chansons que pour vous Orlande ici vient bruyre.

« Sire, » écrit Costeley dans une dédicace au Roi :

Sire, je voudrais bien vous voir reprendre haleine,
Vous offrant ce labeur non égal au Troyen,
Louable toutefois si avec son moyen
Une seule heure au jour je charme votre peine.

Au don de la paix et du calme, la musique unit celui de l’action et de la vie. Par la représentation du sentiment et de la passion, elle crée, elle accroît l’un et l’autre en nous. On dit que près d’expirer, une certaine demoiselle de Lineuil se fit « sonner aux violons » la Bataille de Marignan de Jannequin, pour s’encourager à mourir. On a rapporté aussi de Pontus de Tyard que parfois, jouant du luth, il était en quelque sorte vaincu par sa propre émotion. « Hier soir, » a raconté Pasithée, la dame ou la Muse à laquelle est dédié son discours sur la musique intitulé