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Jusque-là rien de mieux. On se proposait de ranimer l’idéal de la Grèce, autrement dit l’idéal éternel : celui que par des moyens et sous des formes changeantes, tous les réformateurs, aussi bien les Caccini que les Marcello, les Gluck et les Wagner, ont invariablement poursuivi. Mais dans l’imitation de l’antiquité les poètes musiciens du XVIe siècle prétendirent aller plus loin encore et firent fausse route.

Avec l’esprit de l’art antique, ils voulurent en ressusciter la lettre et, réduisant à la question de métrique une question plus vaste et plus haute, imposer à la poésie française la prosodie des Grecs et des Latins. Il ne s’agissait de rien moins que de remplacer par le principe de la quantité, règle de la poésie antique, les deux lois fondamentales des vers français, qui sont la rime et l’accent. L’un des premiers, en 1550, du Bellay souhaita de voir se porter à cette extrémité l’admiration ou l’idolâtrie des anciens. Dans la Déffence et illustration de la langue française, il écrivait ceci : « Quant aux pieds et nombres qui nous manquent, de telles choses ne se font pas par la nature des langues. Qui eût empêché nos ancêtres d’allonger une syllabe et accourcir l’autre et en faire des pieds et des mains ? Et qui empêchera nos successeurs d’observer telles choses, si quelques savans et non moins ingénieux de cet âge entreprennent de les réduire en art ? » Peu d’années après : en 1552, puis en 1555, Pontus de Tyard exprimait à peu près dans les mêmes termes un semblable désir : « À notre musique je voy défaillir l’occasion de plus vive énergie, qui est de savoir accommoder à une mode de chanter une façon de vers composée en pieds et mesures propres : comme je croy les anciens Grecs et Horace… avoir très curieusement observe. Je requerrais donc qu’à l’image des Anciens, (si bien leurs spondées, trochées, embatéries, orthies et telles autres façons sont loin de l’usage de tous et de la connaissance de peu, nos chants eussent quelques manières ordonnées de longueur de vers, de suite ou entremêlement de rimes et de mode de chanter[1]. »

Il était réservé à Baïf de rassembler ces idées et de « les réduire en art ; » de les mettre lui-même, avec plus de zèle et peut-être de bonheur que tout autre, en pratique. Nous l’avons vu les exposer dans les statuts de l’Académie, et, dans les lettres patentes, nous avons vu le roi les accueillir et les patronner. Le

  1. Sur Pontus de Tyard, voir un article de M. Luigi Torri dans la Rivista musicale Italiana de 1901 (fascicolo 4).