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riches. La disgrâce chérifienne entraîne l’arrestation des plus illustres, leur déportation à Larache, Rabat, Mogador, surtout à Tétouan, la confiscation des biens, la dispersion de la famille, la mise en vente des esclaves. L’un des Djamaï est enfermé, depuis dix ans, dans la prison de Tétouan ; le prédécesseur du grand vizir actuel, El-Hadj-Mokhtar, relégué à Mékinez ; il est gratifié d’une petite pension et vit de ses leçons dans une mosquée de la ville. Si el-Abbès-ben-Daoud, qui fut gouverneur de Marrakech, se traîne péniblement derrière le makhzen pour solliciter un retour en grâce. A l’heure de la mort, ceux-là mêmes qui ont réussi, leur vie durant, à se maintenir aux premiers rangs de l’Etat, ne sauraient échapper aux rigueurs du régime makhzénien ; leurs biens sont séquestrés et l’arbitraire souverain désigne la part de succession abandonnée à leurs enfans. Il y a, à Fez et à Marrakech, plusieurs magnifiques jardins qui sont délaissés et des palais qui menacent ruine ; c’est la dépouille des morts ou des disgraciés, de Ba-Ahmed, des Djamaï, de Ben-Daoud, qui, devenue la proie du makhzen, témoigne, par son délabrement, du néant des grandeurs marocaines.

Malgré l’âpreté d’un tel système, les gens qui en font partie, ressentent une extrême fierté d’appartenir au makhzen ; ils se savent les membres d’un corps privilégié, et la conscience d’un tel avantage leur fait oublier leur misère. Il en résulte un état d’esprit spécial qui caractérise le monde makhzen. Associés au pouvoir, ils se considèrent volontiers comme l’élite sociale du pays. La supériorité de leur institution les pénètre à tel point qu’ils ne sauraient douter de sa toute-puissance ; les événemens actuels ont révélé une classe gouvernementale, qui ne voulait jamais perdre confiance en elle-même et dont l’optimisme irréductible était à l’épreuve des plus graves échecs. Pénétrés d’une idée commune, tous les gens makhzen sont prêts à juger les choses sous le même jour, et il s’établit parmi eux une incroyable discipline d’opinion. De la makhzénia journalière se dégage une opinion makhzen, une façon de présenter les nouvelles et d’en envisager les conséquences, qui tend à s’imposer à l’opinion du pays.

Il existe un costume makhzen, avec un caftan aux larges manches et une faradjia, c’est-à-dire une chemise de linge fin, se boutonnant jusqu’au cou, au travers de laquelle transparaît le drap du caftan. Naguère, les gens makhzen s’abstenaient de