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et l’opinion publique en est souvent aussi responsable que l’ambition des gouvernemens. »

Les démagogues de tous les pays, et surtout les Français, n’étaient pas venus là pour entendre ces paroles sensées. Ils rugirent ; un tumulte formidable ne fut calmé que par le grand pacifique Garibaldi. Il débita force déclamations et donna pour conclure les propositions suivantes : « Toutes les nations sont sœurs ; la guerre entre elles est impossible ; toutes leurs querelles seront jugées par un congrès, les membres du congrès élus par les sociétés démocratiques des peuples ; chaque peuple n’aura qu’une voix au Congrès, quel que soit le nombre de ses membres ; la papauté, comme la plus nuisible des sectes, est déclarée déchue ; la religion de Dieu est adoptée par le Congrès ; chacun de ses membres s’oblige à la propager ; j’entends par la religion de Dieu la religion de la vérité et de la raison ; remplacer le sacerdoce des révélations et de l’ignorance par le sacerdoce de la science et de l’intelligence ; la démocratie seule peut détruire le fléau de la guerre. » Puis un post-scriptum plus important que la lettre : « L’esclave seul a le droit de faire la guerre au tyran ; c’est le seul cas dans lequel la guerre est permise. » Les applaudissemens couvrirent ces paroles. Mais dans le public genevois elles produisirent un violent mouvement de protestation. Les athées ne voulaient d’aucune religion ; les catholiques et les protestans repoussaient celle de Garibaldi.

Le jour suivant, ce fut le tour de Quinet : anathème furibond contre le Deux-Décembre. Mêmes acclamations, moins unanimes pourtant, et, au dehors, protestation plus intense encore ; les Suisses avaient peur pour leur indépendance. Un membre du Conseil général de Genève, Carteret, dit : « Je suis heureux et fier que les vieilles libertés suisses permettent à tant d’orateurs de se livrer à des excentricités que les étrangers peuvent trouver amusantes, mais qui n’ont pas pour les Suisses la même saveur. » Et il proposa de se borner à discuter la dernière partie du programme sur la constitution d’une commission permanente. On s’y opposa, et la discussion continua par un discours furibond de Bakounine contre la Russie. Le héros pacifique sentit que cela tournait mal ; dès le matin de la troisième séance, il décampa, sans prendre congé, par le Simplon.