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frontière de la Moldavie, ce qu’on redoutait alors, l’Autriche passât la frontière de la Valachie. On ne signa rien. À la dernière conférence, Gramont présenta un mémoire très étendu, et Beust une note. « J’aime mieux, dit Napoléon III, ce qu’a écrit M. de Beust. — Il faudrait du moins conserver mon manuscrit. — Non, il faudra le brûler. » Cette note, gardée à titre de mémorandum, disait :

« Il importe que les stipulations du traité de Prague ne soient pas transgressées. Cependant il faut non seulement éviter ce qui pourrait être interprété et exploité par la Prusse comme une menace ou une provocation ; mais il faut encore s’abstenir de toute intervention qui serait de nature à éveiller les susceptibilités de l’esprit allemand. Pour arriver au but ci-dessus indiqué, il faut employer d’autres moyens. Il faut agir moralement sur les États du Midi afin qu’ils s’en tiennent au statu quo et n’en sortent pas. Le système que le gouvernement autrichien pratique aujourd’hui à l’intérieur servira de plus en plus à réchauffer les anciennes sympathies des populations. Une politique ouvertement pacifique du gouvernement français enlèvera tout prétexte à de nouveaux engage mens qui seraient proposés et acceptés dans la prévision d’une guerre et dans un intérêt de sécurité. En même temps, l’entente et l’union de la France et de l’Autriche devront se manifester de manière à fane réfléchir les gouvernemens du Midi de l’Allemagne, et à leur faire sentir la nécessité d’une attitude à la fois indépendante et réservée. Ce dernier résultat sera halé si les symptômes de cet accord ne tardent pas à se montrer dans les affaires de l’Orient. Là aussi il s’agit de maintenir le statu quo, et d’arrêter le mouvement qui le menace, par une action diplomatique commune et persévérante, sans que l’on prenne une attitude hostile à la Russie. » Puis suivait une série de phrases vagues sans portée, se réduisant à dire : On agira suivant les circonstances.

Ainsi on n’avait rien trouvé de mieux que de confirmer la déplorable politique de se cramponner au traité de Prague, sans en assurer le maintien par d’autres moyens que l’action morale. C’était là, croyait-on, la politique pacifique. Beust, qui était Allemand, aurait dû détromper Napoléon III et lui dire : « Tant que vous considérerez le maintien de la ligne du Mein comme un intérêt de la grandeur française, l’Allemagne ne croira pas à vos protestations pacifiques. » Dès qu’on ne voulait pas opposer au