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profond et les gens du makhzen eurent un tel sentiment de l’affaiblissement de l’État qu’ils furent unanimes à concevoir la nécessité d’un nouveau système et l’urgence de réformes indispensables, aptes à rétablir la situation compromise. Afin de rechercher des conseils et des moyens d’action, Si el-Mehdi-el-Menehbi et Si Abdelkérim-ben-Sliman furent, en juin 1901, envoyés comme ambassadeurs à Londres et à Paris : depuis lors, la carrière politique de ces deux vizirs fut déterminée par les conséquences de leur voyage.

Si el-Mehdi n’a que trente-trois ans ; il n’avait pas encore atteint la trentaine qu’il s’était déjà élevé aux premiers rangs de l’État. Chef de l’armée par ses fonctions d’allef, chef réel de l’administration grâce à la faveur du sultan, entouré de cliens et de flatteurs, disposant de la richesse et de la puissance, fastueux dans ses allures. Si el-Mehdi n’avait connu que les sourires de la fortune. Confiant dans sa jeunesse et dans son étoile, il n’était point disposé à prévoir les obstacles ; si bien que le jeune sultan et le jeune favori étaient également préparés à écouter les suggestions les plus hardies. D’autre part, la médiocre origine et la croissance rapide de Si el-Mehdi avaient causé quelque scandale dans le personnel makhzénien, qui le traitait en parvenu, et il devait être agréable à un tel homme, dégagé de toute tradition de famille, de faire prévaloir un plan de réformes, propre à réduire l’orgueil de la caste privilégiée. A Londres, Si el-Mehdi fut entretenu dans des théories séduisantes, qui envisageaient la cohésion de l’Empire par l’accroissement du makhzen, l’appel de l’intelligence et du capital européens, en un mot la formation d’un État musulman, unifié sous l’égide internationale, comme barrière infranchissable aux ambitions françaises. De retour au Maroc, l’allef se mit au travail, avec le concours empressé de son maître ; la fête européenne battit son plein au Dar-el-makhzen, on s’y entoura d’aventuriers étrangers, on parla d’emprunts et de chemins de fer. Avec une inconcevable légèreté. Si el-Mehdi se fit le metteur en scène de toute cette fantasmagorie : il était aimable, cherchait à plaire, on se sentait volontiers attiré par cet Arabe, assez grand de taille, mais chétif et malingre, aux allures souples et un peu féminines, dont la jeunesse se laissait accabler par les amertumes de l’absolu pouvoir. Il publiait son goût des choses de l’Europe, disait les inoubliables souvenirs que lui avait laissés son unique voyage et son regret de ne connaître