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amis les Espagnols d’autres gages de notre bonne volonté. Il ne sera pas impossible d’en trouver, le jour où le pays sera ouvert à l’activité des Européens. Le contrôle exclusif du Maroc est le seul avantage sérieux que nous tenions de la dernière négociation. Si, par prière ou par menace, nous laissions entamer cette dernière position, alors notre retraite à l’Ouest de l’Afrique se changerait en lamentable déroute.


Voilà donc près d’un siècle que nous vivons en paix avec la Grande-Bretagne. Pendant quarante ans, de 1830 à 1870, les deux pays ont fait ce qu’ils ont pu pour mettre quelque cordialité dans leurs rapports. Mais l’opposition des intérêts prenait à chaque instant le dessus ; et comme l’Angleterre connaissait mieux les siens, elle eut presque toujours l’avantage. Pendant les trente dernières années, la lutte a été parfois fort vive. Les Français, désabusés de l’entente cordiale, péchèrent quelquefois par excès de défiance : derrière chaque proposition anglaise, ils apercevaient un piège. Les Anglais à leur tour, exploitant notre humeur pacifique, agitèrent trop souvent le spectre de la guerre. Ce revenant de 1815 a beau faire la grosse voix : c’est un fantôme qui s’évanouit dès qu’on le touche.

On se fait chez nous une opinion exagérée de la puissance de l’Angleterre. Sa supériorité maritime la rend plus propre à la défense qu’à l’attaque. L’étendue de son commerce lui lie les mains. Une guerre avec la France la gênait beaucoup autrefois, lorsque son industrie était pauvre et sa population peu nombreuse : aujourd’hui, pour peu que la guerre se prolongeât, la moitié du Royaume-Uni serait affamée. Une partie des fabriques chômerait : on verrait les salaires baisser en même temps que le prix des vivres augmenterait. Pendant que la Grande-Bretagne promènerait son pavillon victorieux sur les mers, toute l’économie du royaume serait bouleversée. Aucun Anglais de sang-froid ne souhaite un pareil malheur à son pays.

Si nous avons rappelé ces vieilles querelles, ce n’est pas pour le vain plaisir de remuer des cendres éteintes. Nous éprouvons la plus sincère admiration devant la grande nation anglaise. Bien loin de repousser ses enseignemens, nous voudrions transporter à Londres notre École des sciences politiques. Oui, c’est là qu’on devrait envoyer les jeunes Français qui se destinant à la carrière publique, comme on envoie à Rome ou à Athènes ceux de leurs