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et mettre en sa place un homme assez effacé et discret pour ne point contrecarrer auprès du maître l’action du favori. Si Feddoul se plia sans résistance à ce rôle peu flatteur ; il ne se manifeste de temps à autre que par des critiques timides et désabusées. Néanmoins, à le fréquenter, on ne saurait méconnaître le charme réel de sa personne : sa figure est fine, encadrée d’une barbe blanche très soignée ; ses vêtemens sont faits de tissus délicats et d’une extrême blancheur ; la rezza démesurée, que lui permet sa grandeur, est enroulée avec minutie ; il est de ces vieillards menus et raffinés, qui se répandent en anecdotes sur le passé avec d’autant plus d’abondance qu’ils con- naissent l’agrément de leur esprit. Bien qu’il n’ait jamais quitté son pays, il soupçonne assez de l’Europe pour savoir présenter les choses marocaines sous l’angle qui convient à ses visiteurs étrangers. Si Feddoul appartient à cette école d’hommes d’Etat, charmans, cultivés, indifférens et résignés, qui se produisent spontanément, à l’heure de la décomposition des États musulmans, et dont notre génération a connu les derniers débris, à Constantinople ou au Caire.

Il fallait des esprits plus jeunes, des caractères mieux trempés pour s’emparer de la direction du makhzen, au moment où la pénétration européenne se présentait à lui avec une vigueur inaccoutumée et trouvait un allié inattendu en Moulay-abd-el-Aziz. L’accident de l’occupation du Touat par les troupes françaises paraît avoir déterminé l’inévitable crise. Nous avons été portés à voir, dans ce développement nécessaire de la politique algérienne, un acte naturel, n’affectant en aucune façon l’intégrité marocaine, puisque les oasis se trouvaient placées à l’extrémité du bled-es-siba, et que les caïds du makhzen n’y exerçaient pas la moindre autorité de fait. Ce sont là raisons politiques, qui n’ont guère de valeur au Maghreb. La possession du Touat importait, en effet, très peu à l’équilibre matériel de l’Empire ; mais on vit, dans notre action, une agression contre une terre d’Islam, une atteinte portée au patrimoine des musulmans et la menace d’un prochain avenir. Il n’en fallait pas davantage pour bouleverser la conscience marocaine, l’inciter à la guerre sainte, et tendre, à l’extrême, le lien fragile unissant les tribus à un sultan qui se montrait impuissant à défendre contre les infidèles les intérêts religieux du pays, par conséquent à remplir la tâche traditionnelle des dynasties chérifiennes. L’ébranlement fut si