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Il y eut comme un rapprochement spontané des deux nations.

Quant à l’arrangement lui-même, il est aussi bon que les circonstances le comportent : ce n’est pas beaucoup dire. Il ne justifie ni l’enthousiasme des uns, ni le dénigrement des autres. C’est une retraite en bon ordre, voilà tout. Mais est-ce la faute du général si les erreurs commises depuis vingt-cinq ans rendaient cette retraite nécessaire ? Un arrangement vraiment durable, une sorte de paix de Westphalie, eût attribué à l’Angleterre la côte orientale d’Afrique et à la France la côte occidentale. En diminuant les points de contact entre les deux Puissances, on aurait évité les froissemens. Mais il eût fallu pour cela que la France possédât des gages sur la côte orientale et en fît un objet d’échange. Ces gages, elle les avait tous abandonnés successivement. Il ne lui restait qu’un titre vide en Égypte. Elle en tira le meilleur parti possible. Mais comment célébrer un grand succès diplomatique lorsque, après vingt ans de lutte, l’Angleterre demeure seule et unique maîtresse, ou peu s’en faut, de tout l’Est Africain, et qu’à l’Ouest, elle ne cède pas un pouce des vastes territoires qu’elle occupe sur la côte, et qui sont autant d’enclaves dans les nôtres ? quand elle garde toute la partie navigable du Niger entre les rapides et la mer, et nous interdit l’accès d’un fleuve dont nous tenons les sources, sur lequel nous avons épuisé nos efforts, notre science, nos armes ? et si ces vastes contrées, où la civilisation commence à peine à luire, doivent faire un jour partie intégrante de l’empire colonial français, peut-on considérer comme définitif un règlement qui laisse en d’autres mains la porte de cet empire ? Parlons, si l’on veut, de détente et d’accommodement ; saluons la promesse de meilleurs rapports entre les deux nations : mais n’allons pas plus loin, et réservons l’avenir.

Si l’on veut voir comment l’Angleterre entend la défense de ses intérêts, il faut lire attentivement, dans le traité, l’article qui concerne Terre-Neuve et l’Ouest Africain. En échange de nos droits incontestables, qui remontent au traité d’Utrecht, et qui sont pour la colonie de Terre-Neuve une gêne considérable, on pouvait espérer tout au moins que l’Angleterre nous céderait la Gambie, précieuse pour nous, presque inutile pour elle et mesurant, sur toute sa longueur, vingt kilomètres de large. Or, même cette petite enclave, les Anglais n’ont pas voulu la vendre. Comme certains brocanteurs, chez lesquels on