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sans combattre, force nous fut de conquérir de haute lutte, avec les jambes de nos soldats, ces terres lointaines qu’on nous marchandait ; et l’Angleterre n’épargna rien pour nous devancer. A peine sommes-nous au Tonkin qu’elle étend ses établissemens de Birmanie jusqu’à Mandalay, touche la frontière de Chine et s’apprête à nous disputer le Yunnan. Au Sud, elle déborde sur le Siam, et, malgré l’avance que nous donnait le traité de 1867, établit solidement son influence dans ce petit royaume. Une nation qui compte 250 millions de sujets défendait contre nous chaque montagne, chaque rivière comme s’il y allait du salut de l’Empire. L’équité, la modération conseilleraient à l’Angleterre de se contenter d’une domination déjà démesurée. Mais qui parle d’équité et de modération à ces petits-fils des conquérans normands ? Ce qui leur importe, c’est de tenir les Français à distance, comme ils contiennent les Russes derrière l’Afghanistan. Ils savent qu’en matière de procès, la tactique offensive est la meilleure, et que, pour rester maître chez soi, il faut d’abord empiéter sur le voisin. Qu’on cède alors quelques pouces et l’on fait preuve de condescendance. En Indo-Chine le procès se termina par l’arrangement de 1896 : on faisait trois morceaux du Siam. Celui du milieu devait rester intact. Le lendemain du traité, l’Angleterre s’installait à Bangkok, au cœur de la place, avec ses fonctionnaires et ses soldats indous, tandis que nous demandons encore aux Siamois la liberté grande d’occuper le bassin du Mékong. Dans ces provinces de la Chine méridionale où nous nous préparions à lancer nos chemins de fer, et qui paraissaient nous revenir sans conteste, nous partagions avec l’Angleterre, avant qu’elle eût fait acte de possession, tous les avantages présens et futurs : trop heureux encore d’en être quittes à si bon marché ; tant le tête-à-tête est parfois pénible avec la puissance qui tient Suez et Singapour !


VI

L’Afrique, à peine effleurée sur les bords, semblait nous offrir un meilleur champ d’action. Nul doute que si quelque Pape, assez heureux ou assez puissant pour se faire obéir, avait partagé ce continent, comme un autre Pape divisa jadis le monde entre les Espagnols et les Portugais, il nous eût d’abord attribué tout l’Ouest en invitant les Anglais à se cantonner dans l’Est. Nous