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n’augmenta pas cette escadre d’une seule unité. M. Guizot disait qu’il fallait occuper les princes trop actifs pour les empêcher de se livrer à « leurs fantaisies[1]. »

La crise de 1840 pesa sur tout le reste du règne. Il ne restait plus qu’à se mettre à la remorque de l’Angleterre, puisqu’on ne pouvait se mesurer avec elle. M. Guizot crut faire merveille en inventant l’entente cordiale. Le premier effet de cette entente fut d’arrêter net les armes victorieuses du maréchal Bugeaud sur la frontière du Maroc. Lord Aberdeen disait à notre chargé d’affaires : « Je ne voudrais pas créer des difficultés à M. Guizot, mais, de vous à moi, soyez sûr que l’occupation définitive d’un point quelconque de l’empire marocain par la France serait forcément un casus belli[2]. » Qu’aurait dit de plus le noble lord, si nous avions été des ennemis ?

Nous ne pouvions plus désormais faire un pas sans la permission de l’Angleterre. Déjà elle avait occupé Singapour (1836), Aden (1839), jalonnant de ses postes tous les défilés maritimes, comme jadis les barons du moyen âge élevaient leurs forteresses dans l’étranglement des vallées ; maîtresse des principaux passages, elle nous abandonnait à contre-cœur quelques lambeaux d’Afrique. Nous essayâmes de nous dédommager dans le Pacifique. Là, loin des routes fréquentées, nous espérions que l’Angleterre ne nous suivrait pas. Elle veillait cependant : la Nouvelle-Zélande, où nous pensions nous installer dès 1839, nous fut « soufflée » à la suite d’une indiscrétion. Nous allâmes encore plus loin, nous nous fîmes plus petits. Cherchez sur la mappemonde ces archipels minuscules qu’on appelle les îles Marquises et les îles de la Société. C’est là qu’en 1842, l’amiral du Petit-Thouars planta notre pavillon. Il y rencontra la Grande-Bretagne sous la forme d’un aventurier biblique qui nous disputait les faveurs de la reine Pomaré. L’affaire Pritchard faillit un instant allumer la guerre entre deux grands pays. La France dut indemniser ce Pritchard et encore faire des excuses.

Il n’est pas une année de cette fameuse entente qui n’ait été marquée par quelque incident du même genre. Le gouvernement français, talonné par l’opposition, appréhendait le succès de nos armes comme autant de causes d’embarras. L’opinion, moins molle qu’aujourd’hui, prenait feu à tout propos et accusait la

  1. Thureau-Dangin, Histoire de la monarchie de Juillet, t. V, p. 371 et suivantes.
  2. Ibid., t. V, p. 388.