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moment il ne doive pas encore avoir mis la dernière main à son grand travail, songent à utiliser la discussion du budget pour supprimer le crédit affecté à notre ambassade au Vatican. Ce biais pourrait être dangereux, si la Chambre l’adoptait. L’adoptera-t-elle ? Son attitude et celle du gouvernement ont fait voir qu’ils ne voulaient pas plus de la séparation l’un que l’autre. S’ils en avaient voulu, l’occasion était bonne pour le dire : en trouvera-t-on jamais une meilleure ? Mais le gouvernement a été muet comme le sphinx. Quant à la Chambre, elle a pris contre elle-même sa précaution des grands jours, lorsqu’elle se défie de ses propres entraînemens : elle consiste à mettre dans son ordre du jour, qu’elle y repousse par avance toute adjonction. Elle a donc approuvé le rappel de M. Nisard en repoussant toute adjonction. Et quelle adjonction craignait-elle ? Évidemment, une invite à la suppression de l’ambassade ou à la dénonciation du Concordat. Il fallait se mettre en garde contre la surprise que pouvait produire une voix éloquente ou passionnée : pour cela, la Chambre se condamnait à ne rien entendre, ou se mettait dans l’impossibilité de céder à la tentation. Ainsi faisait Ulysse lorsqu’il bouchait avec de la cire les oreilles de ses compagnons pour les empêcher de céder au chant des sirènes, ou lorsqu’il se faisait lier lui-même au mât du navire pour pouvoir l’écouter impunément.

Le discours de M. Ribot a été la pièce maîtresse de la séance : il a produit une grande impression sur la Chambre. Tout le monde sentait que là était la vérité, et que cette vérité était dite dans la forme politique qui lui convenait. L’extrême gauche elle-même écoutait en silence, et quelquefois même avec une approbation intérieure : elle trouvait enfin dans le langage d’un homme d’État la justification de son attitude devenue prudente en présence d’une question dont elle apercevait, — peut-être pour la première fois, — toute la portée. Un passage de ce discours a surtout frappé l’attention : c’est celui où M. Ribot, après avoir rendu justice aux efforts heureux de M. le ministre des Affaires étrangères pour élargir la place de la France dans le monde et avoir applaudi à son œuvre diplomatique, s’est demandé, en revenant à l’objet particulier du débat, si rien n’avait été négligé de ce qu’on aurait pu et dû faire pour empêcher de naître le conflit qui a subitement éclaté.

C’est en effet pour le public, et pour le public seul, que l’explosion en a été subite : elle ne l’a pas été pour le gouvernement. M. Delcassé y avait été préparé par des communications diverses dont il a donné connaissance à la Chambre. Ces communications, comment ont-elles