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plutôt ont changé de thèse. — A-t-on pu croire, se sont-ils écriés, que de pareilles réformes, qui sont toute une révolution dans nos institutions et dans nos mœurs, pouvaient se faire du jour au lendemain ? Ce serait folie de l’avoir pensé et nous ne sommes pas des fous : nous sommes, au contraire, des politiques fort avisés. L’impatience et la précipitation, si jamais elles ont été nos défauts, ne le sont plus désormais. Et nous aussi nous saurons attendre ! Nous serons patiens, nous aussi, de la conscience de notre durée ! Il faut tendre sans cesse à la séparation de l’Église et de l’État ; et les événemens qui viennent de se produire nous ont fait faire vers cette solution un pas considérable ; mais il en reste encore beaucoup à faire, et ce n’est pas en quelques heures que nous pouvons atteindre le but. Aller trop vite nous exposerait à des réactions désastreuses. On ne nous a pas -compris : nous ne voulons pas de la séparation tout de suite, et nous sommes satisfaits, pleinement satisfaits du rappel de M. Nisard, pourvu que ce soit bien un rappel et non pas une simple mise en congé.

Était-ce un congé ? était-ce un rappel ? on ne l’a pas su pendant quelques jours. Le gouvernement le savait-il lui-même ? Il attendait que l’opinion parlementaire se dégageât avec quelque précision, et là est le secret de ce qu’il y a eu, dans sa conduite, de contradictoire, d’hésitant et d’incertain. Enfin la matière en élaboration s’est fixée, et M. Nisard s’est trouvé rappelé. C’est alors que les socialistes et les radicaux les plus intransigeans en apparence ont déclaré que c’en était assez, et qu’ils ne souffriraient pas qu’on allât plus loin ! Une conversion aussi imprévue a scandalisé quelques-uns de leurs amis, et a surpris ceux qui n’étaient pas au courant de ce qui se passait dans les coulisses parlementaires. A peine la Chambre était-elle réunie, on s’est aperçu qu’une partie notable de la majorité ministérielle se montrait récalcitrante à la séparation de l’Église et de l’État. Elle ne voulait pas en entendre parler. Elle déclarait formellement que, si le ministère avait l’imprudence de s’engager dans cette voie, elle ne commettrait pas, pour sa part, celle de l’y suivre. La séparation de l’Église et de l’État est une excellente matière à mettre en rapports et en discours, mais non pas en résolutions concrètes et en votes. On peut aller à la grande rigueur jusqu’à en voter le principe : — combien de fois, par exemple, n’a-t-on pas voté celui de l’impôt sur le revenu, non seulement sans l’organiser ensuite, mais encore avec la volonté très nette d’en écarter la réalisation ? — Un vote de principe ne lire pas à conséquence. Mais supprimer notre ambassade n’est pas une