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outre. Seraient-elles donc si graves ? Sans doute, les souverains catholiques qui imiteraient M. Loubet recevraient comme lui une note fort désagréable. Et après ? Une note, au total, n’est qu’un morceau de papier. Est-ce que le nonce ne restait pas à Paris ? Est-ce que les relations diplomatiques n’étaient pas maintenues avec la République ? Ne pouvait-on pas s’exposer à être frappés de foudres de pur style ? Le Pape, évidemment, a craint que cette conclusion ne se présentât aux esprits de ses lecteurs, et il a pris soin de les aviser que, de leur part, un voyage à Rome aurait des suites plus sérieuses que de la part de M. Loubet. Comme il ne pouvait pas le leur dire en termes aussi nets, il a eu soin d’expliquer que le nonce restait à Paris pour des motifs exceptionnels et spéciaux, qui n’existeraient pas éventuellement à Madrid, à Lisbonne, ou encore ailleurs.

En somme, malgré la vigueur que sa note déployait contre nous, le Pape nous traitait une fois de plus avec quelque faveur : seulement il ne voulait pas qu’on y vît un précédent qui profiterait à tous les autres. Pour avoir trouvé là une offense à la France, il a fallu y mettre un parti pris très arrêté. Le gouvernement de la République n’a pas pu croire que la phrase incriminée avait le sens qu’il lui prêtait ; mais il avait besoin d’un prétexte, et où aurait-il pu en trouver un autre ? Il s’était décidé à rappeler son ambassadeur : puisqu’il ne l’avait pas fait plus tôt, c’est-à-dire à la lecture de la note qu’il avait reçue lui-même, il était bien obligé de se rattacher à la phrase qui n’y était pas et qu’il avait découverte depuis. C’est de cela qu’on s’est servi pour rappeler M. Armand Nisard, le très distingué et sympathique ambassadeur qui nous représente auprès du Vatican. M. Nisard a été chargé de demander au cardinal Merry del Val si la note publiée par l’Humanité était authentique dans toutes ses parties, et sur sa réponse affirmative, ou seulement sur le simple défaut de réponse de la part du secrétaire d’État pontifical, ordre lui était donné de quitter Rome immédiatement, ce qu’il a fait. Supposé que le Pape eût commis une faute en écrivant sa note, nous en commettions une autre en rappelant notre ambassadeur : mais ne fallait-il pas donner une satisfaction à l’extrême gauche ? On espérait la calmer par-là, et, au total, on y a réussi. Il nous reste à dire comment.

Le spectacle a été curieux et instructif. Subitement, sans transition, sans que rien l’eût fait prévoir la veille, une partie des journaux qui réclamaient le plus impérieusement la suppression totale de notre ambassade au Vatican, la dénonciation du Concordat, la séparation immédiate de l’Église et de l’État, ont changé de ton, ou