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entre les piles, une épaisseur de 1 mètre à la clef, et une largeur de 4 mètres entre leurs têtes. Toutes ces voûtes en béton seraient renforcées par deux arcs métalliques noyés dans leur masse et soustraits par conséquent à l’action corrosive de l’eau de mer, mais contribueraient à augmenter leur raideur et loin-puissance de support, tout en s’opposant à leur dislocation[1]. C’est ce qu’on appelle le « béton armé ; » et ce béton armé aurait ici cet avantage précieux que l’ouvrage, étant toujours noyé à 15 mètres au-dessous des plus basses mers, par conséquent à une profondeur où la température est à peu près constante, on n’aurait pas à se préoccuper des variations atmosphériques qui se traduisent souvent par des dilatations et des rétrécissemens assez brusques et sont, pour les ouvrages extérieurs, une cause sérieuse de dislocation et de désagrégation.

Cette heureuse modification présenterait même l’avantage, qui n’est pas à négliger, de permettre de réaliser une économie de près de 30 millions dans les dépenses de premier établissement. Un devis consciencieusement étudié ramène, en effet, cette dépense à 220 millions environ au lieu de 250.

Il y a, dans cette conception d’un pont en béton de 34 kilomètres environ de longueur, toujours immergé à 15 mètres au-dessous des plus basses mers, quelque chose de tellement différent de tout ce que l’on a vu jusqu’à ce jour, qu’on conçoit très bien l’hésitation et la réserve de tous ceux qui tiennent à se cantonner dans les procédés anciens et les méthodes consacrées par l’expérience. La routine est sans doute un élément de sécurité ; mais il ne faut pas en abuser. En matière d’art et de construction, l’extrême prudence est souvent hostile à toute innovation un peu hardie ; et, à vrai dire, on ne saurait formuler et préciser à l’encontre d’un pareil travail aucune raison technique de nature à en démontrer l’impossibilité absolue et le danger.

Quoi qu’il en soit, on attendra vraisemblablement encore quelque temps, avant que l’un ou l’autre de ces projets audacieux, que nous n’avons décrits que bien sommairement et dont nous n’avons pu donner que l’historique et le canevas, — rétablissement partiel de l’isthme, tube métallique coulé au fond du détroit, pont aérien, pont sous-marin, immergé en acier ou

  1. Thévenet-Le Boul, Traversée du Pas de Calais par un chariot roulant sur un viaduc immergé en béton. Paris, 30 août 1898.