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rencontrer aucune difficulté spéciale, et a l’avantage de pouvoir être exécuté dans une roche présentant la triple condition d’être assez tendre pour se laisser pénétrer avec facilité et rapidité ; assez consistante pour écarter tout danger d’éboulement ; suffisamment compacte enfin et dépourvue de fissures pour qu’on n’ait pas trop à craindre l’irruption des eaux de la mer[1].

Le seuil étroit qui isole l’Europe de son ancienne presqu’île constitue en somme un déversoir sous-marin au-dessus duquel les eaux sont tour à tour poussées, suivant le jeu des marées, de la Manche vers la mer du Nord ou de la mer du Nord vers la Manche. Il est continuellement balayé par les courans et n’est recouvert par aucune alluvion ni aucun dépôt de sable. La roche est absolument nue, dérasée, et ne présente que des déclivités insensibles[2]. C’est en un mot un plateau lisse et régulier, presque horizontal, qu’il est aussi bien possible de perforer que d’utiliser pour en faire la base d’appui ou le socle de scellement de piles gigantesques devant supporter un ouvrage colossal établi au-dessus des eaux.


II

On pourrait presque composer une bibliothèque avec les publications, faites depuis quelques années, sur la traversée de la Manche, et toutes les discussions, toutes les polémiques, tous les mémoires auxquels les divers projets présentés ont donné lieu au point de vue technique, maritime, économique, commercial ou international. Nous ne pouvons qu’indiquer ici d’une manière très succincte les principales étapes de cette étude qui marquera, quoi qu’il arrive et quel qu’en soit le résultat définitif, parmi l’une des plus curieuses de notre temps.

Elle remonte presque exactement à un siècle. C’est en effet en 1802 que l’ingénieur Mathieu, bien qu’il ne pût avoir alors que des données très insuffisantes sur la nature des roches à traverser, proposa le premier de pratiquer une percée souterraine entre la France et l’Angleterre à peu près entre Douvres et Calais.

  1. De Lapparent. Rapport à la Commission des communications entre la France et l’Angleterre. Annales des Ponts et Chaussées, juin 1875.
  2. Renaud, Rapport sur la reconnaissance hydrographique et géologique du Pas de Calais, novembre 1890.