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et l’approche des chrétiens permit à Moulay-Abd-er-Rahman de faire sentir à ses peuples la nécessité d’une armée nationale, dans laquelle seraient incorporés, de façon permanente, les contingens de toutes les tribus soumises. Dès lors, les mokhaznis cessèrent de former l’armée active et descendirent à leur rôle actuel, qui en fait la garnison stable des villes makhzen et leur attribue un service de gendarmerie. Les askar permanens et les nouaïb temporaires, fournis par les tribus, devinrent la seule force effective, employée dans les expéditions chérifiennes.

Malgré ce déclassement militaire, qui les frappa au milieu du XIXe siècle, les tribus makhzen parvinrent, cependant, jusqu’à une date très récente, à maintenir leur influence prépondérante dans le gouvernement du Maroc. Leur place privilégiée, dans la garde impériale et parmi les corporations du Palais, continuait à leur réserver l’accès du souverain, dont ils dominaient les conseils ; et, jusqu’à la mort de Moulay-el-Hassan, qui s’appliqua strictement à maintenir les traditions de sa dynastie, les principaux personnages makhzen étaient, en règle générale, issus des tribus de guich. Le goût de réformes qui, depuis trois ans, s’est emparé de Moulay-abd-el-Aziz, son mépris pour les usages reçus, ont été le dernier coup porté à ce qui restait de l’antique prépondérance des tribus makhzen ; après avoir été privées de l’avantage exclusif de donner des soldats au sultan, elles sont en train de perdre le privilège qu’elles conservaient encore de fournir les principaux membres du gouvernement. A l’heure actuelle, les secrétaires et les oumana envahissent le makhzen, au point que les gens issus des tribus de guich n’y sont plus que l’exception. A vrai dire, cette transformation est née des circonstances, autant que de la fantaisie du prince ; elle résulte de la complication des affaires administratives, de l’importance croissante des questions économiques, pour lesquelles ne suffisait plus le bénéfice de la naissance et qui exigeaient des spécialistes. Si bien que la réunion des fonctionnaires formant, en réalité, le cabinet marocain, se compose aujourd’hui de trois secrétaires, de quatre oumana et de deux mokhaznis seulement.

Cette poussée de secrétaires et d’oumana, parvenant au pouvoir pour s’y substituer aux mokhaznis, introduit au makhzen un esprit nouveau. Auparavant l’autorité revenait à des personnages, à la fois militaires et campagnards, élevés, avec leurs « contribules, » au-dessus de la masse arabe ou arabisée de la plaine